dimanche, avril 26, 2015

Le baron

Dans sa toute petite enfance, il m'appelait Matime. Durant cette période de sa vie, il ne parlait pas beaucoup. Il ne disait que quelques mots qui lui permettait d'obtenir ce qu'il voulait, mais ne se souciait pas de communiquer davantage. Enfin, c'est ce que je je croyais du haut de ma propre enfance. Ce qui ne voulait pas dire qu'il ne comprenait pas ce qui se passait autour de lui. Au contraire; il adorait les histoires. C'était le genre d'enfant qui écoutait en boucle les mêmes histoires sur disques et qui riait toujours, à gorge déployée, aux bons endroits.

Il dessinait aussi, beaucoup, avec un talent incontestable. Cependant, ses planches à dessins étaient parfois un peu particulières : un divan et beaucoup d'albums de Tintin ont été améliorés par ses soins. Je crois que c'était vraiment ce qu'il cherchait à faire d'ailleurs, il ne lui passait sans doute pas par l'esprit que ses envolées créatrices pouvaient abîmer quoi que ce soit.

C'était un enfant qui avait le chic d'avoir une vie intérieure très vaste, à laquelle peu d'entre-nous avaient accès. Ce qui expliquait sans doute son manque de communication avec le monde extérieur. Jusqu'au jour où il a décidé qu'il pouvait s'adresser aux autres avec des phrases complètes, ce qu'il a évidemment fait à la perfection, quand il s'y est mis. Je disais qu'il parlait comme un dictionnaire. Pour moi, et je me trompe sans doute, il s'est mis à parler en même temps qu'il a su lire et il construisait des phrases à l'oral comme celles que l'on trouve d'ordinaire à l'écrit. Et il écrivait déjà sans fautes, dans un français beaucoup plus châtié que le mien, comme si toutes les règles complexes de cette langue lui étaient tombées dessus à bras raccourcis. Je lui ai toujours envié ce talent.

Il me faisait penser au Baron de Munchausen, incarné au cinéma par John Neville. Il me le rappelle encore souvent d'ailleurs, parce qu'il a toujours le chic de s'émerveiller sur toutes sortes de sujets. Il a aussi ce talent pour partager ses intérêts à coup d'exclamations grandiloquentes. Et surtout cette générosité envers ceux qu'il aime.

Aujourd'hui c'est un homme bon, qui ne dit jamais rien de mesquin sur qui que ce soit. C'est un homme qui aime rire et qui se passionne encore pour un tas de sujets jusqu'à l'exagération à certains moments. Mais ça, c'est un trait de famille parce que je suis aussi, sinon pire, que lui en ce domaine. Il ne demande jamais rien à personne, surtout pas de faveurs. Et on oublie souvent que ce n'est pas parce qu'il ne demande pas qu'il n'aime pas recevoir.

Il y a quelques jours, cet homme que j'aime beaucoup et qui est mon frère, a eu quarante ans. Il n'est certes plus l'enfant avec lequel j'ai grandi, mais il a gardé de cette époque les très belles qualités de cœur qui font de lui un homme comme il s'en fait peu.

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