Le baron
Dans sa toute petite
enfance, il m'appelait Matime. Durant cette période de sa vie, il ne
parlait pas beaucoup. Il ne disait que quelques mots qui lui
permettait d'obtenir ce qu'il voulait, mais ne se souciait pas de
communiquer davantage. Enfin, c'est ce que je je croyais du haut de
ma propre enfance. Ce qui ne voulait pas dire qu'il ne comprenait pas
ce qui se passait autour de lui. Au contraire; il adorait les
histoires. C'était le genre d'enfant qui écoutait en boucle les
mêmes histoires sur disques et qui riait toujours, à gorge
déployée, aux bons endroits.
Il dessinait aussi,
beaucoup, avec un talent incontestable. Cependant, ses planches à
dessins étaient parfois un peu particulières : un divan et
beaucoup d'albums de Tintin ont été améliorés par ses soins. Je
crois que c'était vraiment ce qu'il cherchait à faire d'ailleurs,
il ne lui passait sans doute pas par l'esprit que ses envolées
créatrices pouvaient abîmer quoi que ce soit.
C'était un enfant qui
avait le chic d'avoir une vie intérieure très vaste, à laquelle
peu d'entre-nous avaient accès. Ce qui expliquait sans doute son
manque de communication avec le monde extérieur. Jusqu'au jour où
il a décidé qu'il pouvait s'adresser aux autres avec des phrases
complètes, ce qu'il a évidemment fait à la perfection, quand
il s'y est mis. Je disais qu'il parlait comme un dictionnaire. Pour
moi, et je me trompe sans doute, il s'est mis à parler en même
temps qu'il a su lire et il construisait des phrases à l'oral comme
celles que l'on trouve d'ordinaire à l'écrit. Et il écrivait déjà
sans fautes, dans un français beaucoup plus châtié que le mien,
comme si toutes les règles complexes de cette langue lui étaient
tombées dessus à bras raccourcis. Je lui ai toujours envié ce
talent.
Il me faisait penser au
Baron de Munchausen, incarné au cinéma par John Neville. Il me le
rappelle encore souvent d'ailleurs, parce qu'il a toujours le chic de
s'émerveiller sur toutes sortes de sujets. Il a aussi ce talent pour
partager ses intérêts à coup d'exclamations grandiloquentes. Et
surtout cette générosité envers ceux qu'il aime.
Aujourd'hui c'est un
homme bon, qui ne dit jamais rien de mesquin sur qui que ce soit.
C'est un homme qui aime rire et qui se passionne encore pour un tas
de sujets jusqu'à l'exagération à certains moments. Mais ça,
c'est un trait de famille parce que je suis aussi, sinon pire, que
lui en ce domaine. Il ne demande jamais rien à personne, surtout
pas de faveurs. Et on oublie souvent que ce n'est pas parce qu'il ne
demande pas qu'il n'aime pas recevoir.
Il y a quelques jours,
cet homme que j'aime beaucoup et qui est mon frère, a eu
quarante ans. Il n'est certes plus l'enfant avec lequel j'ai grandi,
mais il a gardé de cette époque les très belles qualités de cœur
qui font de lui un homme comme il s'en fait peu.
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