jeudi, septembre 17, 2015

Comme un poisson dans l'eau

Le ciel était lourd et d'un gris charbonneux qui laissait à penser que les orages s'abattraient vigoureusement sur quiconque était sur sa route. J'avais dissimulé mes serviettes sous un auvent et espérais, comme tant d'autres, que le ciel nous tombe, enfin, sur la tête. Il faisait chaud, bien entendu, mais l'humidité était pire que la chaleur ambiante. En attendant le déluge, je voyais les éclairs percer les nuages, sans pourtant en entendre le fracas.

Je me sentais tellement poisseuse que j'avais de la peine à me concentrer dans ma lecture. Pourtant, je suis assez douée pour lire dans des circonstances mitigées et réussir à me concentrer sur ce que je lis plutôt que sur ce qui se déroule autour de moi. Pendant des années, j'ai fréquenté les bars de la ville, ou même de la province, un livre à la main, tout à fait apte à suivre le cours du récit sans trop me préoccuper de l'activité nocturne qui évoluait autour de moi. C'est dire que lorsque j'aime les mondes littéraires dans lesquels je mets un pied, il n'y a pas grand chose à mon épreuve.

Ce jour-là, cependant, j'avais la sensation d'être dans une substance désagréable. Un mouvement de paupière faisait ruisseler la sueur sur mon visage. Malgré le fait qu'il était autour de 14 heures, on se serait cru à la brunante. Parce que je n'arrivais pas à replonger dans ma lecture, mon regard s'est évidemment porté autour de moi, en quête de cette étincelle qui me fait écrire. Plus ou moins consciemment, d'ailleurs.

C'est dans ces circonstances que j'ai aperçu le garçon. Il était noir de peau et avait cette bouche lippue caractéristique. Si j.ai remarqué ses lèvres, c'était parce qu'il était évident qu'il n'avait plus de contrôle musculaire sur celle du bas, elle pendait inélégamment, laissant voir sa dentition. Sagement assis à une table qui jouxtait la mienne, avec un paquet de grosses valises autour de lui,-il avait l'air à la fois complètement déconnecté et impatient. C'est sans doute pour cela que mon regard revenait toujours vers lui. Au bout d'un certain temps, une dame qui devait avoir environ mon âge, s'est assise auprès de lui, à bout de souffle. Elle parlait fort, heureuse d'être enfin arrivée, tandis que les réponse du jeune homme ne parvenait pas à mes oreilles.

Pour aucune raison apparente, le ciel s'est crevé de bleu et les nuages se sont dispersés aussi rapidement qu'ils étaient apparus. Sans laisser tomber une goutte de pluie sur nous. J'étais en train de ramasser mes affaires pour retourner à la chaise que j'aimais occuper près de la piscine quand j'ai entendu la dame dire à son fils : « No way! You're not going in to the ocean right now! You may go to the pool though. » Déjà, il grimpait les marches quatre-à-quatre pendant que sa mère criait, sur un ton franchement apeuré : « But dont you dare go in the 12 foot! ». La voyant se lever, pour tenter de lui mettre la main au cou, je lui ai dit qu'il n'y avait pas de 12 pieds dans cette piscine, ni même d'endroit où il ne pourrait pas avoir pied, justement. Elle s'est rassise toujours aussi épuisée, mais un peu soulagée, en me disait : « He's coming back from a big seisure, you know... »

Lorsque j'ai enfin repris mon emplacement idéal, j'ai réalisé qu'il s'était installé juste à côté de moi, je reconnaissais les vêtements que je l'avais vu porter. Je l'ai tout de suite reconnu parmi les baigneurs. Pas tant parce qu'il était différent, mais parce que je n'avais jamais vu, à ce jour, un visage aussi heureux que le sien à cet instant précis, simplement parce qu'il était dans l'eau et qu'il en avait la permission... Un bonheur à l'état pur irradiait sa personne et son sourire faisait oublier la lèvre pendante, pourtant bien visible, conséquente aux événements récents de sa vie.

J'avais devant les yeux, une idée de ce qu'est le goût du bonheur.

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