Poupée fanée
C'était une toute jeune
femme, blonde pâle aux immenses yeux bleus. Elle portait une robe
soleil fushia qui faisait ressortir les prunelles de son regard. Je
la voyais, de loin ravaler sa peine de son mieux. Je n'en connaissais
pas la cause, la femme m'était étrangère, sauf qu'elle était
visiblement bouleversée, et tentait vaille que vaille d'aller de son
point A à son point B.
Entre deux stations, ses
épaules s'affaissaient et son corps se secouait de sanglots. Comme
si toutes les larmes de la terre convergeaient vers elle pour se
déverser à travers la douleur qu'elle portait. À toutes les fois
où le wagon ralentissait, elle se reprenait, prenait son air le plus
brave, esquissait ce genre de sourire qui n'en ai pas vraiment un,
pour ne pas se faire trop remarquer; du moins, c'est ce que
j'imaginais. Mais l'affaire était entendue, tous les nouveaux
passagers, ne pouvaient faire autrement que la remarquer, ne
serait-ce que parce que la rougeur bouffie de ses yeux rendait son
regard encore plus remarquable.
Un moment donné, une
petite famille à rejoint notre convoi. Un papa, deux fillettes, assez
sages qui faisaient entre elles des jeux de mains, et un petit garçon
d'environ 4 ans. Il s'est assis à côté de moi rejoignant ainsi mon
poste d'observation bien involontaire de la jolie poupée, fanée par
ses pleurs. Au bout d'environ deux minutes, de sa voix claire et
précise, il a demandé à son papa qui était de l'autre côté de
l'allée : « Pourquoi elle pleure la belle madame papa? ».
Moment gênant pour ledit papa qui s'est approché de son fils pour
lui répondre qu'il ne le savait pas et que ce n'était pas poli de
questionner ses larmes ainsi, qu'il ne fallait pas regarder la jolie
dame comme ça et plutôt la laisser tranquille.
Le garçonnet n'avait pas
l'air convaincu. Même après que le papa l'eût changé de place
afin d'éviter que la pleureuse soit directement dans le champs de
vison de l'enfant, celui-ci se tordait sur son siège pour regarder
dans la direction désirée. Ny tenant plus, il a dit à son père :
« Mais moi, tu sais, j'aime ça quand tu me consoles parce que
j'ai de la peine ». Et le papa d'expliquer qu'il ne pouvait pas
consoler la femme parce qu'il ne la connaissait pas. Je trouvais
l'enfant particulièrement mignon et remarquais au passage que
l'objet de son attention était tellement prise par sa volonté de ne
pas complètement s'écrouler qu'elle ne s'apercevait même pas de la
fascination qu'elle avait causée à son jeune public.
Un peu avant Sherbrooke,
la famille s'est levée et le papa tenait fermement la menotte de son
fils. Mais voilà qu'ils attendaient l'ouverture des portes juste à
côté de la pleureuse. N'y tenant plus le garçonnet a attrapé la
main qu'il pouvait atteindre et a posé dessus un gros baisé mouillé
en lui affirmant : « C'est pour te consoler ».
Le papa a jeté à la
jeune femme un regarde maladroit, mais moi je l'ai vue sourire pour
de vrai pour la première fois depuis qu'elle était entrée dans le
wagon. De ce genre de sourire qui vient du cœur et qui vous reste
longtemps collé à l'âme.
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