dimanche, août 09, 2015

Poupée fanée

C'était une toute jeune femme, blonde pâle aux immenses yeux bleus. Elle portait une robe soleil fushia qui faisait ressortir les prunelles de son regard. Je la voyais, de loin ravaler sa peine de son mieux. Je n'en connaissais pas la cause, la femme m'était étrangère, sauf qu'elle était visiblement bouleversée, et tentait vaille que vaille d'aller de son point A à son point B.

Entre deux stations, ses épaules s'affaissaient et son corps se secouait de sanglots. Comme si toutes les larmes de la terre convergeaient vers elle pour se déverser à travers la douleur qu'elle portait. À toutes les fois où le wagon ralentissait, elle se reprenait, prenait son air le plus brave, esquissait ce genre de sourire qui n'en ai pas vraiment un, pour ne pas se faire trop remarquer; du moins, c'est ce que j'imaginais. Mais l'affaire était entendue, tous les nouveaux passagers, ne pouvaient faire autrement que la remarquer, ne serait-ce que parce que la rougeur bouffie de ses yeux rendait son regard encore plus remarquable.

Un moment donné, une petite famille à rejoint notre convoi.  Un papa, deux fillettes, assez sages qui faisaient entre elles des jeux de mains, et un petit garçon d'environ 4 ans. Il s'est assis à côté de moi rejoignant ainsi mon poste d'observation bien involontaire de la jolie poupée, fanée par ses pleurs. Au bout d'environ deux minutes, de sa voix claire et précise, il a demandé à son papa qui était de l'autre côté de l'allée : « Pourquoi elle pleure la belle madame papa? ». Moment gênant pour ledit papa qui s'est approché de son fils pour lui répondre qu'il ne le savait pas et que ce n'était pas poli de questionner ses larmes ainsi, qu'il ne fallait pas regarder la jolie dame comme ça et plutôt la laisser tranquille.

Le garçonnet n'avait pas l'air convaincu. Même après que le papa l'eût changé de place afin d'éviter que la pleureuse soit directement dans le champs de vison de l'enfant, celui-ci se tordait sur son siège pour regarder dans la direction désirée. Ny tenant plus, il a dit à son père : « Mais moi, tu sais, j'aime ça quand tu me consoles parce que j'ai de la peine ». Et le papa d'expliquer qu'il ne pouvait pas consoler la femme parce qu'il ne la connaissait pas. Je trouvais l'enfant particulièrement mignon et remarquais au passage que l'objet de son attention était tellement prise par sa volonté de ne pas complètement s'écrouler qu'elle ne s'apercevait même pas de la fascination qu'elle avait causée à son jeune public.

Un peu avant Sherbrooke, la famille s'est levée et le papa tenait fermement la menotte de son fils. Mais voilà qu'ils attendaient l'ouverture des portes juste à côté de la pleureuse. N'y tenant plus le garçonnet a attrapé la main qu'il pouvait atteindre et a posé dessus un gros baisé mouillé en lui affirmant : « C'est pour te consoler ».

Le papa a jeté à la jeune femme un regarde maladroit, mais moi je l'ai vue sourire pour de vrai pour la première fois depuis qu'elle était entrée dans le wagon. De ce genre de sourire qui vient du cœur et qui vous reste longtemps collé à l'âme.

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