dimanche, novembre 08, 2015

Le gant

J'avais l'âge de la pomme qui tombe d'elle-même de la branche. Celui lors duquel on se sent assez vieux pour voler de ses propres ailes. Elle, elle était à la fin de ses études universitaires, sur lesquelles j'avais déjà pris du retard. La différence majeure entre nous c'était qu'elle était déjà une femme, alors que je me décrivais comme un être humain que l'on ne pouvait qualifier ni d'adolescente, ni de femme.

Si mes souvenirs sont exacts, je l'ai aimée à la seconde un. Elle fut une de mes premières amies lorsque j'ai choisi de quitter Montréal pour Sherbrooke et que je n'y connaissais personne. J'ai même habité son appartement, un été durant lequel son amoureux était parti en stage dans l'ouest canadien. Elle me charmait de ses commentaires acerbes et surtout de par son honnêteté sans aucune espèce de compromis sur quoique ce soit. Ce qui est en soit, une arme à double tranchant.

À l'époque ou nous habitions ensemble, ma sœur était venue me visiter. Et nous l'avions égarée dans un centre commercial. Je ne sais pas si l'une ou l'autre s'en rappelle, mais moi si. À toutes les fois où je me remémore mes premières années sherbrookoises, je ne peux m'empêcher de me souvenir du moment où j'ai été séparée de ma sœur, qui était sous ma garde. Comme maman ne semble n'avoir aucun souvenir de l'incident, je présume que ma sœur a omis de raconter ce petit bout de son séjour, parce que je ne pouvais pas, sciemment, me dénoncer.

Puis, la vie a fait en sorte que mon cheminement et celui de cette amie se sont singulièrement éloignés; elle est mère et épouse de nos jours, ce qui n'est pas mon cas. Nos réalités sont à des zéniths opposés. Et nous n'avons pas pas entretenu ce lien. Surtout qu'elle m'avait très clairement fait comprendre qu'il serait illusoire de penser qui serait possible de rétablir un pont au dessus de ces vies qui sont à ce point dissemblables. Évidemment, c'était honnête, vrai et brut. Tout à fait son genre. Un peu blessant, certes, mais plutôt que répondre l'entendu, elle m'avait annoncé une évidence.

Ses pas ont fini par croiser ceux de ma mère. Elles se sont retrouvées dans les mêmes cercles de périnatalité. J'ai ainsi un peu de nouvelles, elle doit en prendre aussi. Sans que nous cherchions à aller plus loin que cet intérêt, un rien plus développé que celui de la simple politesse. Avec le temps, elle est devenue marraine d'allaitement, auprès d'autres femmes et aujourd'hui elle étudie pour devenir sage-femme. Un peu sur le tard, mais à l'aboutissement du sentier de toute une vie, il me semble.

Il y a des hasards dans l'existence qui font croire à l'incroyable. Cette nouvelle vie l'amènera, peut-être, à l'accouchement de ma sœur puisqu'elle est en stage avec la sage-femme de celle-ci. Cette seule femme qui fut mon amie, dont les choix l'ont rapprochée de ma mère pour finalement atteindre ma sœur.

C'était une femme que j'avais rencontré à un moment charnière de ma vie, ce moment où je commençais à devenir une femme. Ce genre de personne est presque impossible à oublier surtout quand les aléas de la vie font en sorte qu'elle réapparaît à un moment charnière de celle de ma sœur qui débutera sous peu sa plus grande aventure.

Je crois que je savais bien jeune aimer les personnes qui m'allaient comme un gant. Et que je n'ai pas changé, du moins sous cet aspect-là.

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