Le gant
J'avais l'âge de la
pomme qui tombe d'elle-même de la branche. Celui lors duquel on se
sent assez vieux pour voler de ses propres ailes. Elle, elle était à
la fin de ses études universitaires, sur lesquelles j'avais déjà
pris du retard. La différence majeure entre nous c'était qu'elle
était déjà une femme, alors que je me décrivais comme un être
humain que l'on ne pouvait qualifier ni d'adolescente, ni de femme.
Si mes souvenirs sont
exacts, je l'ai aimée à la seconde un. Elle fut une de mes
premières amies lorsque j'ai choisi de quitter Montréal pour
Sherbrooke et que je n'y connaissais personne. J'ai même habité son
appartement, un été durant lequel son amoureux était parti en
stage dans l'ouest canadien. Elle me charmait de ses commentaires
acerbes et surtout de par son honnêteté sans aucune espèce de
compromis sur quoique ce soit. Ce qui est en soit, une arme à double
tranchant.
À l'époque ou nous
habitions ensemble, ma sœur était venue me visiter. Et nous
l'avions égarée dans un centre commercial. Je ne sais pas si l'une
ou l'autre s'en rappelle, mais moi si. À toutes les fois où je me
remémore mes premières années sherbrookoises, je ne peux
m'empêcher de me souvenir du moment où j'ai été séparée de ma
sœur, qui était sous ma garde. Comme maman ne semble n'avoir aucun
souvenir de l'incident, je présume que ma sœur a omis de raconter
ce petit bout de son séjour, parce que je ne pouvais pas, sciemment,
me dénoncer.
Puis, la vie a fait en
sorte que mon cheminement et celui de cette amie se sont
singulièrement éloignés; elle est mère et épouse de nos jours,
ce qui n'est pas mon cas. Nos réalités sont à des zéniths
opposés. Et nous n'avons pas pas entretenu ce lien. Surtout qu'elle
m'avait très clairement fait comprendre qu'il serait illusoire de
penser qui serait possible de rétablir un pont au dessus de ces vies
qui sont à ce point dissemblables. Évidemment, c'était honnête,
vrai et brut. Tout à fait son genre. Un peu blessant, certes, mais
plutôt que répondre l'entendu, elle m'avait annoncé une évidence.
Ses pas ont fini par
croiser ceux de ma mère. Elles se sont retrouvées dans les mêmes
cercles de périnatalité. J'ai ainsi un peu de nouvelles, elle doit
en prendre aussi. Sans que nous cherchions à aller plus loin que cet
intérêt, un rien plus développé que celui de la simple politesse.
Avec le temps, elle est devenue marraine d'allaitement, auprès
d'autres femmes et aujourd'hui elle étudie pour devenir sage-femme.
Un peu sur le tard, mais à l'aboutissement du sentier de toute une
vie, il me semble.
Il y a des hasards dans
l'existence qui font croire à l'incroyable. Cette nouvelle vie
l'amènera, peut-être, à l'accouchement de ma sœur puisqu'elle est
en stage avec la sage-femme de celle-ci. Cette seule femme qui fut mon
amie, dont les choix l'ont rapprochée de ma mère pour finalement
atteindre ma sœur.
C'était une femme que
j'avais rencontré à un moment charnière de ma vie, ce moment où
je commençais à devenir une femme. Ce genre de personne est presque
impossible à oublier surtout quand les aléas de la vie font en
sorte qu'elle réapparaît à un moment charnière de celle de ma
sœur qui débutera sous peu sa plus grande aventure.
Je crois que je savais
bien jeune aimer les personnes qui m'allaient comme un gant. Et que
je n'ai pas changé, du moins sous cet aspect-là.
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