dimanche, octobre 25, 2015

Un bien triste sort

Trop souvent, il fait froid et il fait soif. Le danger est partout même là où je devrais me sentir en sécurité. Je n'ai aucun souvenir de la sécurité. Je suis trahie dans ma chair et aux yeux du Monde je n'ai pas de valeur parce que je suis née autochtone et que tout ce que j'ai appris dans la vie c'est le mépris grondant de ceux qui me regardent de haut.

Je suis meurtrie, lessivée par une existence qui n'a pas de sens. Que j'ai quinze ou quarante ans importe peu. Ce que je vis, personne ne le souhaiterait à ses pires ennemis et pourtant on me juge pour mes manquements. On me jette au visage que je suis laide, que je suis grosse, que je ne maîtrise aucune langue que je parle. Même pas ma langue maternelle parce que mes parents en ont étés privés dans les pensionnats autochtones qui ont sévit sur ce pays.

On m'a volé mes racines, attachée à une territoire d'où je ne peux pas sortir parce que l'éducation est une denrée rare dans ces contrées. Je ne connais aucune réserve où il y a une université ou un cégep. Il faut s'exiler, aller en ville où l'adaptation est difficile et la solitude aussi grande que le cœur que l'on porte en étendard muet.

Je me gèle pour oublier, je bois pour oublier. J'oublie pour boire et pour me geler. Des hommes me passent sur le corps et sur mon estime personnelle. Des hommes qui ont des femmes et des filles et qui se décarcasseraient pour elles si quelqu'un avait le mauvais goût de les traiter comme ils me traitent. Je ne suis pas une femme à leurs yeux, je suis une source de plaisir éphémère et rapide, juste assez bon marché pour que ça vaille la peine. Et ça, c'est quand ils me paient.

Pourtant, mes peuples sont de grands peuples. Ils ont foulés l'Amérique, avant qu'elle ne porte ce nom. Ces peuples ont des valeurs, de l'oralité à revendre, des traditions millénaires. Mais quand les Européens sont arrivés, ils n'avaient pas de poudre à canon et surtout aucune espèce de notion de territorialité.

J'ai mal à l'âme, mal à la peau. J'ai peur d'avoir des enfants qui répéteront le même schéma que moi. Pourtant, je sais que je pourrais aimer jusqu'à plus soif un être encore pur. Et aimer jusqu'à plus soif, dans mon cas, ça veut dire beaucoup.

J'aimerais pouvoir transmettre mes valeurs, l'histoire de ces Nations, presque oubliées, qui sont toujours vivantes. J'aimerais pouvoir dire que j'ai fais de quoi, n'importe quoi, pour changer la société qui m'a vue naître. Mais j'ai bien peur de ne pas y arriver. Il me manquait des armes. Il me manquait l'éducation, la compassion et l'ouverture pour réussir.

Je suis disparue sans que la société qui m'héberge ait levé le petit doigt pour me venir en aide. Je suis une statistique qui s'additionne à d'autres statistiques.

Je suis morte muette. La voix coupée par l'importance qu'on ne m'a jamais accordée.

Un bien triste sort.

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