mercredi, novembre 04, 2015

Un mouton (presque) galeux

C'était une histoire d'une banalité absolue de cette banlieue du nord de Montréal. Une bonne famille haïtienne, bien éduquée, aimante, rieuse qui portait en son sein un mouton en voie de devenir galeux. La difficulté venait du fait que les modèles masculins les plus nombreux dans son secteur avaient la richesse facile et paresseuse de ceux qui choisissent la petite, puis, souvent, la grande criminalité.

Anthony, avait toujours été, aux yeux de sa famille, le plus bel enfant de la fratrie, le plus brillant, celui à qui tout réussissait sans qu'il ait besoin de faire un effort quelconque. À l'école primaire, il était toujours parmi les meilleurs en classe, comme dans les sports, et n'avait jamais à chercher bien longtemps l'attention pour se faire des amis. Il était le petit roi de sa cour, ses yeux noirs, pétillants, et son sourire désarmant lui assuraient un succès sans borne.

Mais Anthony avait frappé un mur au début de l'adolescence. Son corps avait commencé à lui faire défaut en grandissant n'importe comment, le rendant un peu plus gauche qu'auparavant. Les succès sportifs s'étaient fait plus mitigés et il arborais désormais ce visage ingrat propre aux garçons qui sont en pleine poussée de croissance. Comme il n'avait pas l'habitude de faire rire de lui, de ne pas obtenir tout ce qu'il voulait à coup d’œillades malicieuses, il se sentait passablement désemparé.

Dans les parcs et la cours d'école, il voyait d'autres jeunes prendre de l'importance. Des jeunes qui avaient plus d'argent dans leurs poches que ce que son père gagnait dans un mois. Des gars qui n'étaient pas gentils du tout et qui faisaient peur à tout le monde, mais qui étaient immensément respectés. Ils claironnaient à qui voulaient l'entendre qu'ils se couchaient à pas d'heures et ne se levaient jamais avant le repas du midi. La belle vie quoi.

Anthony considérait que la vie était diablement injuste. Lui devait se lever tous les matins, histoire de veto maternel qui le tirait du lit sans autre forme de procès parce que dormir toute la journée n'était pas une option. Il en était à son troisième emploi perdu parce qu'il avait omis de se présenter à un quart de travail. Pour un salaire de misère en plus.

Alors il portait son sentiment d'injustice et son mécontentement en étendard et laissait couler tout son fiel sur son entourage. Claquant toutes les portes sur son chemin, se fâchant avec père, mère, frères et sœurs. Se rapprochant, évidemment, de ceux qu'il admirait, faisant frissonner ses proches qui savaient de bien trop près comment ce genre d'histoire pouvait tourner.

Sa famille ne su jamais ce qui l'avait remis sur le droit chemin. Une histoire de filles trop sordide pour être racontée. Mais il s'était dit que si quoique ce soit du même genre arrivait à ses petites sœurs, il ne s'en remettrait jamais. Il avait donc repris le collier pour terminer son année scolaire avec assez de succès pour être admis au cécep.

Des années plus tard, il me disait avec fierté qu'il était bien heureux d'avoir laissé toutes ces histoires pas très catholiques derrière lui et je lui répondais qu'elles n'étaient même pas très vaudous.

Ce qui était tout dire.

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1 Commentaires:

Blogger Unknown s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Des fois quand la vie est trop facile, la tentation est grande. Respectueux ce texte.

5:31 p.m.  

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