Les couleuvres
Il y a une couleuvre qui
se glisse parfois dans ton dos. Elle ne te tombe pas sur la tête
comme d'aucun pourrait le croire, elle se faufile plutôt par le bas
de ton dos et remonte lentement ta colonne vertébrale, produisant un
frisson pas du tout agréable. Malgré tes vêtements, tu as la
sensation que le reptile s'est directement logé sur ta peau qui
devient de plus en plus moite, au fur et à mesure que la bête sinue
lentement vers ta nuque.
Tu as l'impression
d'évoluer dans une jungle absolument pas rassurante qui, non
contente de produire son lot de couleuvres envahissantes, te jette
des araignées poilues par la tête. Ça te révulse. À tous les
coups, tu as l'envie pressante de t'ébrouer pour les faire tomber le
plus rapidement possible, mais tu as appris avec le temps que ça ne
sert à rien : les bêtes sont tenaces et restent accrochées à
ta personne.
Quelquefois, tu les voies
juste avant qu'elles ne te touchent et tu fais ces étranges saut de
puce qui procurent à tes pas un tangage laissant croire que tu
danses toute seule dans cette faune bigarrée. Toi, dont l'absence de
souplesse est presque légendaire, tu fais presque le pont vers
l'arrière pour éviter que ces choses arrivent à te frôler.
Soudainement, tu es pratiquement capable de te plier vers l'avant
assez pour toucher à tes orteils sans jamais plier les genoux parce
que c'est tout ce que l'espace disponible te permet.
Il y a des jours où les
bêtes sont tellement nombreuses que tu sens poindre la panique, la
perte de contrôle. Les nerfs qui se mettent en boule d'eux-mêmes et
mettent ta patience à rude épreuve. Tu voudrais te réfugier
quelque part, loin de ces sensations désagréables, t'encabaner à
double tour, mais tu sais pertinemment que dans cette jungle, pas un
arbre ne t'offrira la pause à laquelle tu aspires si fort.
Tout ce que tu peux
faire, c'est de prendre une grande respiration pour calmer ton cœur
qui s'affole tout en tançant tes nerfs en leur disant (mentalement),
que rien de tout ce que tu croises n'est vraiment dangereux pour toi.
Il n'y a aucune bête vénéneuse dans le secteur et tu le sais très
bien. N'empêche que sa bouscule tes insécurités et ton entité
corporelle. Tu sais que tu auras beau récurer chaque parcelle de
peau qui aura subit le poids des bibites désagréables qui auront
jalonner ta journée, ta chair restera marquée des heures durant. Ça
te draine aussi sûrement que si tu avais subit la saignée à tous
les endroits où les corps étrangers s'étaient posés sur toi.
Parce que c'est ce dont
il s'agit, en réalité. Tu ne vis pas vraiment dans une jungle,
sinon la société. Les couleuvres et les araignées sont en fait les
mains des quidams qui se posent sur toi au cours d'une conversation.
Mais tu ne t'y habitueras jamais. Tu seras toujours rétive au
toucher des gens que tu ne connais pas; ceux qui ne t'auront pas, au
préalable, apprivoisée. Ça te heurtera toujours autant en te
laissant démunie parce qu'en travaillant en service à la clientèle,
tu sais parfaitement bien que tu ne peux pas hurler le : « Bas
les pattes! » qui obstrue ta gorge.
Tu prends donc ton mal en
patience, juste assez longtemps pour trouver l'oreille attentive de
la seule personne que tu voies assez souvent à qui tu pourras dire :
« j'ai servi un client qui a mis sa main sur mon bras »
et qui comprendra par toutes les fibres de son être, exactement,
ce que tu ressens.
Alors
tu te diras qu'un tout petit peu de compréhension est au fond, un
bien grand remède à la majrité des maux.
Libellés : Maudite angoisse, Vie en communauté