jeudi, octobre 15, 2015

Les couleuvres

Il y a une couleuvre qui se glisse parfois dans ton dos. Elle ne te tombe pas sur la tête comme d'aucun pourrait le croire, elle se faufile plutôt par le bas de ton dos et remonte lentement ta colonne vertébrale, produisant un frisson pas du tout agréable. Malgré tes vêtements, tu as la sensation que le reptile s'est directement logé sur ta peau qui devient de plus en plus moite, au fur et à mesure que la bête sinue lentement vers ta nuque.

Tu as l'impression d'évoluer dans une jungle absolument pas rassurante qui, non contente de produire son lot de couleuvres envahissantes, te jette des araignées poilues par la tête. Ça te révulse. À tous les coups, tu as l'envie pressante de t'ébrouer pour les faire tomber le plus rapidement possible, mais tu as appris avec le temps que ça ne sert à rien : les bêtes sont tenaces et restent accrochées à ta personne.

Quelquefois, tu les voies juste avant qu'elles ne te touchent et tu fais ces étranges saut de puce qui procurent à tes pas un tangage laissant croire que tu danses toute seule dans cette faune bigarrée. Toi, dont l'absence de souplesse est presque légendaire, tu fais presque le pont vers l'arrière pour éviter que ces choses arrivent à te frôler. Soudainement, tu es pratiquement capable de te plier vers l'avant assez pour toucher à tes orteils sans jamais plier les genoux parce que c'est tout ce que l'espace disponible te permet.

Il y a des jours où les bêtes sont tellement nombreuses que tu sens poindre la panique, la perte de contrôle. Les nerfs qui se mettent en boule d'eux-mêmes et mettent ta patience à rude épreuve. Tu voudrais te réfugier quelque part, loin de ces sensations désagréables, t'encabaner à double tour, mais tu sais pertinemment que dans cette jungle, pas un arbre ne t'offrira la pause à laquelle tu aspires si fort.

Tout ce que tu peux faire, c'est de prendre une grande respiration pour calmer ton cœur qui s'affole tout en tançant tes nerfs en leur disant (mentalement), que rien de tout ce que tu croises n'est vraiment dangereux pour toi. Il n'y a aucune bête vénéneuse dans le secteur et tu le sais très bien. N'empêche que sa bouscule tes insécurités et ton entité corporelle. Tu sais que tu auras beau récurer chaque parcelle de peau qui aura subit le poids des bibites désagréables qui auront jalonner ta journée, ta chair restera marquée des heures durant. Ça te draine aussi sûrement que si tu avais subit la saignée à tous les endroits où les corps étrangers s'étaient posés sur toi.

Parce que c'est ce dont il s'agit, en réalité. Tu ne vis pas vraiment dans une jungle, sinon la société. Les couleuvres et les araignées sont en fait les mains des quidams qui se posent sur toi au cours d'une conversation. Mais tu ne t'y habitueras jamais. Tu seras toujours rétive au toucher des gens que tu ne connais pas; ceux qui ne t'auront pas, au préalable, apprivoisée. Ça te heurtera toujours autant en te laissant démunie parce qu'en travaillant en service à la clientèle, tu sais parfaitement bien que tu ne peux pas hurler le : « Bas les pattes! » qui obstrue ta gorge.

Tu prends donc ton mal en patience, juste assez longtemps pour trouver l'oreille attentive de la seule personne que tu voies assez souvent à qui tu pourras dire : « j'ai servi un client qui a mis sa main sur mon bras » et qui comprendra par toutes les fibres de son être, exactement, ce que tu ressens.

Alors tu te diras qu'un tout petit peu de compréhension est au fond, un bien grand remède à la majrité des maux.

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