Halloween
Dans un autobus
pratiquement vide, un 31 octobre, un clown squelettique est assis
devant moi. Pour faire rire sa compagne, il tente de m'intimider. Son
maquillage et terriblement réussi. Son sourire est lugubre, sauf
lorsqu'il sourit pour vrai. Je ne sais pas pourquoi je suis sa cible,
peut-être simplement parce que je ne suis pas déguisée et seule.
Il prend des pauses envahissantes et étranges, n'ayant de cesse de
me fixer jusqu'à ce que la fille à ses côtés lui disent vertement
de laisser la pauvre femme (moi) tranquille parce ça devient gênant.
En fait, il n'a absolument pas réussi à me déranger, je suis bien
à l'abri entre les écouteurs de mon baladeur, le nez plongé dans
un livre.
Au coin d'une rue d'un
quartier résidentiel, un Père-Noël (adulte) à la peau basanée et
à l'accent hispanique, monte en compagnie d'un Olaf, d'un Winnie
l'ourson et d'un Tigrou qui doivent avoir entre huit et trois ans. La
grande Olaf s'assoie à côté de moi et entreprend de regarder le
contenu de sa récolte sans déballer un seul bonbon. Je sens, sans
vraiment regarder ce qu'elle fait, ce qui lui plaît ou non dans ce
qu'elle découvre. Les deux autres sont assis de l'autre côté de
l'allée, de part et d'autre du clown qui ne semble pas du tout les
effrayer. Le Papa-Noël est debout et surveille avec attention sa
couvée, surtout le petit tigre qui donne l'impression de mourir
d'envie de tout déballer et avaler immédiatement.
Deux ou trois arrêts
plus tard, le bus se remplit d'un coup. L'attention paternelle en
prend pour son rhume : les enfants sont maintenant
singulièrement éparpillés, malgré le fait qu'ils n'aient pas
bougé d'un pouce. Comme il est juste devant moi, je le sens tendu.
Je vois sa tête tourner sans cesse dans toutes les directions, comme
pour s'assurer, à chaque seconde, que tout son monde est en
sécurité.
Et puis un homme
vieillissant, encombré de sacs et de valises se place juste devant
Winnie, empêchant désormais son père de la voir. L'homme est seul
et parle sans arrêt. Fort. Très fort. Son monologue est décousu.
Il y est question de bottes et de destination. Plus les minutes
passent, plus il s'agite et s'affaisse sur lui-même. Se penchant
presque sur la petite Winnie qui tente vaillamment de garder un air
impassible, mais je vois, à son regard qu'elle n'est pas du tout
rassurée. Au bout de quelques mètres, elle se met à interpeller
son père de sa petite voix un peu paniquée. Mais l'autobus est trop
bondé pour que le papa puisse agir rapidement. De toute manière,
l'homme descend à l'arrêt suivant avec une bonne moitié des autres
passagers. Le clown et sa compagne compris.
Profitant de ce vacuum
impromptu, le Père-Noël a regroupé ses petits lutins, sur la même
banquette, profitant de l'occasion pour asseoir une Winnie ébranlée
sur ses genoux. Un petit mouvement de sa tête m'a fait comprendre à
quel point elle était soulagée d'être désormais bien protégée.
Je sais, depuis
longtemps, que les soirs d'Halloween regorgent de personnages
étranges. Et il m'apparaît désormais évident que les plus
effrayants ne sont pas nécessairement ceux qui choisissent de
l'être.
Libellés : Digressions, Vie en communauté
Je reprends le temps perdu, je suis mal à l'aise pour la petite et je comprends ta vigilence et ta compassion