Tchou! Tchou!
Je suis prise dans le
pain d'une famille de 7 enfants. Je ne le sais pas encore tout à
fait, je n'ai que 4 ans. Dans mon univers, il y a une grande et un
grand, moi et un bébé (plate parce qu'il ne parle pas encore) et
une maman grosse comme l'univers, à mes yeux, parce qu'elle est
enceinte.
Mon idole, c'est le
grand, la grande est beaucoup trop grande pour moi. Mais le grand, il
m'a laissée jouer avec lui souvent, sans doute parce qu'il n'avait
pas d'autres compagnons de jeu, mais c'est une donnée que j'ignore à
cet âge.
J'ai appris à lire et à
écrire en le regardant faire ses devoirs et ses leçons. Je
reproduisais avec application tout ce qu'il avait à faire. Un peu de
biais, évidement, puisque je recopiais du cahier du grand plutôt
que du tableau vert que je n'avais pas encore rencontré. Mais j'ai
fait tous les exercices demandé, avec tout mon cœur, et ma maman
était bien contente de me voir m'attabler pour faire mes lettres et
mes chiffres pour le simple plaisir d'apprendre. Je m'étais trouvé
une activité qui ne lui demandait pas beaucoup d'énergie. Entre les
grands à éduquer et les plus petits à élever, mon comportement
tenait de la bénédiction.
Ce qui fonctionnait
moyennement, c'était le fait que j'étais toujours un an ou deux en
avance sur les élèves de ma classe. Je n'avais donc aucun espèce
d'intérêt sur ce que la maîtresse racontait à mes collègues, je
le savais déjà. Mes leçons me laissaient froide, je préférais de
loin celles du grand. Alors je passais invariablement pour la
dissipée. C'était vrai, du reste, je n'avais aucun intérêt pour
ce que je voyais en classe, je connaissais tout, les examens le
prouvaient.
Il m'arrivait, par
conséquent, de buissonner allègrement. À force de me faire
réprimander par les religieuses, parce que je ne faisais pas les
lettres de la manière indiquée, de faire des pâtées sur mes
copies, j'étais souvent celle qui était donnée en contre exemple,
l'année durant. Ce qui diminuait singulièrement mon intérêt, et
surtout on sens de la justice. Je trouvais donc beaucoup plus
intéressant de ramasser mes cliques et mes claques pour aller voir
ailleurs, si j'y étais. Mais j'étais toujours sagement assise à ma
place aux examens. Passant une année après l'autre, l'air de rien.
Je n'ai jamais été la
première de classe, contrairement au reste de ma fratrie. Que ce
soit à l'école, ou au catéchisme, je ne raflais pas tous les
prix. Je m'étais éduqué toute seule. À force de curiosité d'envie
d'émuler ceux qui me précédaient. J'avais pris le train vers
l'avant : Tchou! Tchou! Alors tout le monde m'appelait
« Toutou »
Je n'étais qu'une
minuscule fillette qui voulait être appréciée pour ses talents. Je
voulais qu'on m'aime, évidemment. Sauf que j'avais appris un peu
tout croche. Encore aujourd'hui, je trouve mes lettres et mes
chiffres mal définis sur le papier. Il me semble que tout ce que je
sache faire soit une copie pleine de pâtés inélégants, même si
tout un chacun considère qu'il soit aisé de me déchiffrer. Les
complexes nés de l'enfance sont durs à déloger.
J'ai tenté de ne pas
transmettre mes inquiétudes à mes enfants. Les laisser être des
enfants, justement. Je pense que j'ai réussi, sauf peut être sur le
plan de la calligraphie. Ce n'est pas tant que je sois intraitable à
ce sujet, mais ils ont hérité de l'irrégularité de la mienne.
De nos jours,
heureusement, il y a les ordinateurs et les lettrines formatées.
Une angoisse de moins...
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