Un avenir confortable
Il y a quelques jours,
j'ai fait la connaissance du fils de ma sœur. Tout petit bout
d'homme qui, à ce moment, était certes magnifique, mais qui,
étrangement, me rappelait Yoda, au grand déplaisir des parents.
Pourtant, dans ma tête c'était un compliment. Étrange, sans doute,
mais il s'agit d'un personnage aussi charmant que sage et dont le
faciès mobile exprime beaucoup plus que ce que ses textes ne nous
disent. Soit exactement ce qu'un poupon de huit jours peut partager
avec le monde extérieur.
Il sentait bon le bébé,
il était sage. Confiant d'être dans les bras de cette tante qui ne
lui disait. J'étais fascinée. La dernière fois que j'avais tenu un
bébé aussi jeune dans mes bras, c'était sa mère. Sous la
supervision attentive de la nôtre, dans un divan duquel je ne
pouvais absolument pas tomber et qui aurait accueilli la chute de ma
sœur si jamais je l'avais échappée. Ce que je n'avais pas fait.
De son côté, Maman
rayonnait. J'avais l'impression qu'elle était redevenue la mère de
mon enfance. Celle autour duquel notre monde tournait. Le centre
inéluctable de l'Univers. Elle ne s'arrogeait pas le rôle de la
mère de l'enfant, ce n'était pas son genre. Elle se contentait
d'être la grand-maman de l'un et la maman des autres. Ses poussins
longuement tricotés. Ceux qu'elle avait espérés, attendus et
accueillis en ce monde. Ceux qui l'avaient émue, désespérée,
encouragée, touchée par les personnalités qu'elle ne pouvait pas
avoir imaginer lorsqu'ils grandissaient en son sein.
D'entendre ma sœur
dire : « mon fils », me faisait un drôle d'effet.
J'avais suivi sa grossesse avec enthousiasme. Elle m'avait laissé
toucher les mouvements impromptus sur sa bédaine comme Maman m'avait
laissé sentir les trois autres, autrefois. C'était une belle
histoire, une belle nouvelle, une belle vie. Sauf que ça demeurait,
en quelque sorte, théorique.
Ce soir-là, la réalité
me rattrapait. Celle dans laquelle j'étais une éternelle
célibataire, celle dans laquelle mon petit côté porc-épic
repoussait beaucoup de gens, celle qui a poursuivi toute sa vie une
soif d'absolu qui n'existait probablement pas ailleurs que dans mon
imaginaire et qui faisait en sorte que je travaillais mon deuil de
maternité depuis bientôt cinq ans. Malgré tout, je n'étais ni
jalouse ni envieuse, simplement perdue. Perdue dans le rôle que
j'avais à jouer dans cette famille désormais élargie.
J'aurais dû être celle
qui présentait un premier petit enfant à nos parents. Un manquement
de plus à la liste déjà longue de ceux que je m'arrogeais.
Je savais que le temps
m'apprendrait bien assez vite l'espace que je pourrais occuper dans
ce nouvel environnement.
Et j'étais assez
optimiste pour croire que celui-ci serait éminemment confortable.
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