mercredi, novembre 11, 2015

À petits pas

Ça avait été une drôle de rencontre.

J'étais rentrée un peu chamboulée, quelque part entre l'envers et l'endroit de moi-même. J'avais à la fois le goût de mordre et celui de tendre la main pour apaiser. Je savais bien, au départ qu'il aurait ce genre d'effet sur moi. Ça faisait partie des raisons pour lesquelles je refusais de garder un vrai lien avec lui. Il me hérissait tout en m'attendrissant, tout le temps.

Il avait cette intelligence vive que j'avais toujours appréciée. Ses idées étaient aussi tranchées que l'acier. Les nuances n'avaient jamais fait partie ni de son vocabulaire ni de son être. Je n'avais jamais trop su ce que je représentais pour lui. Si ce n'est un paquets de souvenirs. Mais quels que soient les chemins que je prenais, je le croisais continuellement au tournant. J'avais beau, ne lui porter qu'une attention discrète, me contenter de le saluer au passage, j'avais le sentiment qu'il me collait à la peau. Comme si je ne pouvais vivre ma vie sans qu'il fasse partie du décor.

Je le connaissais depuis ma petite enfance. Nous avions fréquenté les mêmes classes. Nous n'étions pas amis, il me trouvait niaise et ne se gênait pas pour le dire. Je le trouvais imbu et ne m'occupais pas tellement de ce qu'il racontait sur moi. Il me brouillait la coiffure à coup de chardons que ma mère passait des heures à essayer de retirer de ma tête jusqu'à ce que les ciseaux ne deviennent la seule arme possible pour gagner ce type de guerre.

De temps à autres, je me retrouvais seule avec lui. Et il se transformait. Au lieu du bourreau de tous les jours, je voyais apparaître un être fragile qui avait son lot de peine. Un lot plus grand que le mien d'ailleurs. Il avait un grand frère qui était loin d'être un rêve, au sens propre comme au figuré. Un jour, il en rentrant de l'école, sas choses avaient été placées dans le garage, lit compris, parce que son frère voulait une chambre bien à lui. Et leurs parents n'avaient rien dit. Il s'était senti immensément rejeté. Et je m'étais dit que les petites misères qu'il me faisait vivre étaient bien minces en comparaison à celle-ci.

Ce jour-là, il m'avait attendu à la sortie de mon travail. L'air dévasté, plus encore que lors de cet épisode d'enfance. Il m'avait simplement dit qu'il avait besoin de parler. Je l'avais suivi dans un bistro de quartier et il m'avait déboulé toute sa vie. Celle qu'il ne racontait à personne, celle qu'il cachait soigneusement aux réseaux sociaux, qui étaient notre seul lien tangible. Évidemment, durant toute cette conversation, il réussissait à se rendre à la fois sympathique et odieux.

À la fin, quand j'étais sur le point de m'endormir devant ses yeux et qu'il m'eut enfin laissée partir, je lui avais demandé: « Pourquoi tu me dis tout cela, à moi » et il m'avait répondu qu'il n'avait aucune espèce de notion de ce que c'était l'amitié et les confidences échangées, qu'ils s'en était gardé toute sa vie. Mais qu'à force de me lire il s'était dit que moi, j'en avais sans doute une bonne idée.

Le problème, c'est que l'amitié ne s'impose pas, ni l'amour ni l'affection. Ça se conquiert et ça se gagne à tout petits pas.

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