samedi, novembre 21, 2015

Quand la réalité rattrape mes fictions

Quand j'avais fait la connaissance de ce jeune homme, il me rappelait quelqu'un, mais je n'arrivais pas à mettre le doigt sur la personne dont le souvenir dansait quelque part au fond de ma mémoire. Cet état de faits me fatiguait juste assez pour que j'y pense souvent en le voyant, mais pas à tous les coups. Nous avions ce genre de rapport semi convivial et semi professionnel. Ce sont des choses qui arrivent lorsqu'on travaille dans un commerce de détail où fleurissent les employés temporaires du temps des fêtes.

Lors de cette première rencontre, il se présentait à une de ses premières entrevues d'embauche, du haut de ses 17 ans et il avait ce genre de réflexions qui me laissaient coite par tant d'à propos, vu le jeune âge du personnage. Il m'avait sidérée parce qu'il avait un sens aigu du service à la clientèle, du travail en équipe et des priorités, ce que je rencontre rarement avec de jeunes personnes qui n'ont jamais travaillé. Je m'étais dis que je ne perdais rien à lui donner une chance, après tout un employé temporaire du temps des fêtes est un employé temporaire, justement.

J'avais fini par comprendre que son passé de sportif de haut niveau, pas olympique, mais assez sérieux pour que cela ait considérablement influencé sa personnalité, expliquait en grande partie sa manière d'envisager ses engagements et le travail en équipe. Je ne peux pas dire qu'il était un jeune homme plus sérieux que la moyenne. Au contraire, il aimait beaucoup faire des blagues et avait une répartie qui donnait des sueurs froides à ses collègues un peu plus âgés. Il avait surtout ce talent de donner l'impression de vivre exactement le moment présent, même dans le cadre du travail.

Je travaillais assez rarement avec lui, il était généralement assigné à des départements qui n'étaient pas les miens, sauf que le fait que j'avais été la personne qui l'avait reçu en entrevue faisait en sorte qu'il me saluait et me faisait des bribes de conversation quand l'occasion se présentait.

C'est ainsi qu'un matin, je l'avais entendu finir de raconter une anecdote qui s'était déroulée quelques années plus tôt dans sa vie. Une historiette concernant une jeune sœur, obligée de suivre tout un tournois, des gradins, malgré un rhume carabiné.

Et ça a fait tilt. Il y a quelques années j'ai écrit un roman jeunesse que je n'ai jamais envoyé à aucun éditeur. Et je ne le ferai pas. Parce que tous les écrivains ne peuvent pas être romanciers et que je ne pense pas que ce soit ma place. Dans ce roman, mon personnage principal avait un frère qui était un joueur de hockey et j'ai compris, ce matin-là que j'avais mon personnage devant les yeux, quelques dix ans après l'avoir mis sur papier, mais à l'âge où je l'avais imaginé.

Mis à part la carrure d'épaules et la hauteur, les deux individus ne se ressemblaient pas, c'est sans doute la raison pour laquelle je n'avais pas fait le lien de prime abord. Mais la personnalité, cette joie de vivre et cette générosité qui avait fait dire à ma mère que j'avais créé le grand frère que je n'avais jamais eu, étaient indéniablement présentes chez ce jeune employé que j'avais embauché, sans comprendre ce qui me percutait en lui.

J'aurais pu choisir de craindre ma propre créativité.

Bien au contraire, j'ai choisi de continuer à évoluer sur la frontière du réel, ne serait-ce que pour courir le risque de rencontrer d'aussi belle personnalités que celles que je suis capable d'imaginer.

Libellés :