Fée des étoiles
Quand j'étais ado, en
secondaire deux ou trois, je ne me rappelle plus très bien, j'avais
trouvé une job de gardiennage sur le chemin de l'école. Elle
consistait à aller chercher deux bambins, à pieds, à la garderie,
de les ramener chez-eux et d'attendre le retour de la maman en les
faisant souper. Elle n'arrivait jamais bien tard. Il me semble que
c'était au printemps. J'imagine aujourd'hui qu'elle avait un cours
d'été dont l'horaire ne lui aurait pas permis à temps d'aller
reprendre ses enfants. Elle était monoparentale, je ne sais même
pas si ses enfants avaient le même père. Je n'ai pas le souvenir de
lui avoir même posé la question.
La fillette, avait dans
les trois ans. Elle parlait et dessinait beaucoup. Il ne m'avait pas
fallut beaucoup de temps pour faire sa conquête, un sourire, une
petite blague, un coup de crayon sur le cahier qu'elle avait ouvert
devant elle et l'affaire avait été conclue. Avec le petit garçon,
c'était une autre histoire. Il avait autour d'un an et, bien
entendu, ne parlait ni ne marchait. Il pleurait beaucoup. J'ai
parcouru des kilomètres entre sa chambre et le salon en lui chantant
des berceuses pour calmer ses colères. J'avais mis beaucoup de temps
à me faire apprécier. D'une visite à l'autre, tout était toujours
à recommencer. Ce que je trouvais difficile, c'était que je
négligeais, forcément la plus grande. Elle ne semblait pourtant pas
y prendre ombrage, elle me suivait en pépiant joyeusement dans mon
sillage, comme si la situation était normale.
Lorsque la maman
arrivait, vers les vingt heures, les deux enfants dormaient à poings
fermés. Elle me demandait toujours comment cela avait été d'un air
distrait et je répondais invariablement que tout avait été sous
contrôle, même si ce n'était pas vraiment le cas. L'essentiel de
ma mission, après tout, était de les ramener à bon port, de les
nourrir et de les coucher, ce que je réussissais à tous les coups.
Cette femme avait un charme nonchalant qui m'impressionnait beaucoup,
je la trouvais forte comme un roc. Gentille aussi. J'aimais bien
rester quelques minutes de plus avec elle avant de reprendre mes
choses et me diriger vers la maison. Il me semblait qu'elle était
une espèce de fée tombée par accident dans mon univers
Une fois, seulement, je
suis allée garder pour une longue soirée. Elle allait voir David
Bowie. Je n'avais aucune espèce d'idée de qui c'était ce mec-là
avant ce jour. En fait, je savais de visu c'était qui, sans
toutefois connaître son œuvre, sinon le film Labyrinthe qui faisait
encore beaucoup parler, à l'époque. Mais pour elle c'était le bout
du bout. Elle était extatique. Cette fois-là, elle était rentrée
très tard. Toute brouillée et accompagnée. Avec le recul, je
comprends qu'elle était sans doute un peu stone, ou un peu pompette.
Les deux peut-être. Je l'avais trouvé absolument séduisante avec
ses yeux qui brillaient de tous leurs feux et le désir qui couvait,
mais que je n'identifiais pas pour ce que c'était.
Ça fait près de trente
ans. Presque autant d'années sans que j'ai consacré ne serait-ce
qu'une pensée à cette femme. Comme si la mort de l'homme faisait
ressurgir la fée, des étoiles.
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