jeudi, décembre 10, 2015

L'autre visage de la grève

Depuis le début de l'automne, il me semble que je croise souvent les deux mêmes fillettes sagement assises sur leur banc, qui ne disent jamais rien, sinon en chuchotant. Elles ont attiré mon attention parce que leur comportement à ce point silencieux détonne passablement sur les autres personnes de leurs âges que je croise dans les transports en commun.

Je les vois souvent dessiner ou lire. Lever la tête à tous les arrêts, regardant avidement les passagers comme si elles attendaient une personne en particulier. Qui ne se présente jamais, en tout cas, pas lorsque je suis dans le même autobus qu'elles.

Ce qui me tarabustait le plus, c'est qu'elles ne sont pas toujours dans un autobus qui fait le même trajet. Certes, ceux-ci font tous le chemin entre le Carrefour Laval et le métro Montmorency, mais comme elles sont toujours-là avant moi et ne descendent jamais après-moi, j'ai de quoi me demander pourquoi deux fillettes qui doivent avoir entre 7 et 10 ans semblent avoir entrepris de faire le tour de la ville de Laval.

En montant dans l'autobus, un matin, un autobus qui quittait son terminus, je me suis fait la réflexion que j'étais conduite bien souvent par un chauffeur en particulier. Sur plusieurs trajets différents. Avec mon horaire du temps des fêtes, je n'ai plus autant de stabilité qu'à la normale et je me retrouve à prendre toutes sortes de directions, qui ne sont pas celles auxquelles j'ai l'habitude. On dirait que ces horaires fluctuant font en sorte que je tombe beaucoup plus régulièrement qu'à l'accoutumée, sur cet homme.

J'étais la toute première passagère et c'est ce qui m'a permis de découvrir la vérité sur les fillettes que j'ai mentionné plus haut. Elles étaient déjà installées sur leur banc (toujours le même). C'était une journée de grève dans les écoles publiques. Les pièces du casse-tête se sont déposées toutes seules. Mon chauffeur est forcément leur père.

J'ai eu un mini moment de retour en arrière, à l'époque ou pour une raison ou pour une autre, j'accompagnais mon père au travail et que je me sentais bien grande d'aller vivre la journée dans une tour à bureaux du centre-ville. Très peu souvent, en somme, et passé le premier moment d'euphorie, les journées étaient longues et plates parce que je n'avais pas grand chose à faire. Pourtant, mes degrés de liberté étaient nettement plus grands que ceux des petites passagères que j'avais remarqué.

Deux petites filles bien sages qui ne peuvent parler à personne parce que tous les clients sont pour elles des étrangers. Qui ne peuvent chahuter parce qu'elles dérangeraient non seulement le chauffeur, mais leur papa. Avec les grèves qui se multiplient, elles doivent savoir par cœur tous les détours des trajets effectués quotidiennement par les autobus qui les ont menées un peu partout. Je parierais qu'elles en sont quittes pour une très bonne note en géographie locale, en espérant qu'elles seront interrogées à ce sujet.

Surtout, je me suis dit qu'elles n'espéraient certainement pas quelqu'un en particulier, mais simplement un visage connu, histoire de pouvoir parler, un peu, à quelqu'un lors de ces trop longues journées.

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