Langue de vipère
Je m'étais laissée
tombée sur le premier banc disponible, sans prendre garde à qui se
trouvait autour de moi. Se faisant, j'avais levé les yeux pour
croiser ceux, très noirs, d'une femme que j'aurais préféré ne
jamais revoir. Nous ne nous étions rien dit, cet échange muet était
plus éloquent que n'importe quelle suite de mots. Elle savait et je
savais.
J'avais connu cette femme
quelques années plus tôt. Nos chemins ne s'étaient pas croisés
très longtemps, juste assez cependant pour qu'elle puisse instiller
son venin dans mon existence. Quand elle avait débarquée dans mon
entourage, fièrement perchée au bras d'un beau garçon de ma
connaissance, elle m'avait fait une impression mitigée. Je n'en
n'avais rien montré et j'avais tenté, autant que faire se pouvait,
de l'accueillir dans notre cercle. J'étais la seule femme permanente
de cette drôle d'unité. La seule qui n'y ait pas mis les pieds
parce que j'avais été, un jour ou l'autre, l'amoureuse d'un des
garçons.
Avec les années, il
m'était arrivé bien souvent d'avoir de drôles de rapports avec les
femmes qui se joignaient à nous. Mais j'avais toujours fini par
apprivoiser les filles, leur faire comprendre que je n'avais aucune
envie de courtiser leur amoureux et que l'inverse était tout aussi
vrai. Ma place était ailleurs. Souvent celle de l'amie qui restait
après la rupture, présence pas si souvent fréquentée, mais dont
la pérénité à travers le temps faisait en sorte que d'une fois à
l'autre, je pouvais additionner les bouts d'eux-mêmes et les aider à
se reconstruire.
Mais lorsque la petite
beauté aux yeux noirs était arrivée, il m'avait semblé qu'il y
avait quelque chose de malsain avec celle-ci. Je ne savais pas quoi
exactement. Elle est repartie au bout de quelques mois, laissant
l'ami dans une mare de questions sans réponses. Plus rétif qu'avant
elle. Plus sauvage aussi. Il nous aura fallut des années pour le
ramener vers nous, pour regagner sa confiance. Comme si nous l'avions
trahi.
La petite peste à la
langue de vipère était de cette engeance qui distillait du poison
autour de l'être aimé semant le doute dans toutes ses certitudes.
Ce qu'elle ne contrôlait pas, elle le méprisait. Un groupe d'amis
tissé serré, revêtait à ses yeux, je le supposais, une source
potentielle de discorde. Alors elle avait semé les graines de la
rupture absolue entre lui et nous. En ce qui me concernait, plus
précisément. J'étais devenue une envieuse arriviste. Les années
d'amitié n'ayant aucun poids dans la balance. Aux yeux de cet ancien
ami, j'étais devenue, méchante et mesquine, ce qui ne me
ressemblait pas.
Ça ne faisait pas très
longtemps qu'il avait admis la manipulation. Il lui avait fallu
piétiner son orgueil pour finir par m'écrire qu'il avait laisser un
amour d'une demie année faire table rase sur des relations qui lui
avaient été, jusqu'alors, nourrissantes. Si le ponts avaient été
durablement brisés, nous caressions l'espoir qu'ils soient en train
de se reconstruire.
En la voyant ce jour-là,
j'avais eu envie de lui cracher au visage et surtout de dire à
l'homme qui la regardait amoureusement de se pousser au plus sacrant.
Je n'en avais rien fait.
J'avais plutôt épié sa conversation en me disant qu'elle n'était,
somme toute, qu'une toute petite vipère, qui n'attendait qu'un bon
coup de talon pour être anéantie.
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