Les corridors du dimanche matin
C'était un dimanche
matin. J'avais marché dans la ville en regardant le soleil teinter
de rose le ciel et les vitres des édifices que je croisais. Il
faisait juste assez froid pour que mon souffle me précède
visiblement et que je presse le pas, sans trop m'en apercevoir.
C'était aube magnifique dans une ville quasi endormie ce qui me
donnait l'impression d'être à peu près la seule âme vivante du
secteur. Les quelques promeneurs de chiens ne me saluaient pas et le
chats m'ignoraient souverainement.
Le choc de mon entrée
dans l'édifice du métro avait été brutal. Sous la lumière
blafarde des néons, le corridor s'étendait sur une centaine de
mètres. Ni plus étroit ni plus large qu'à son habitude, mais à
cette heure du jour, ou de la fin de la nuit, il me semblait plus
vaste que d'ordinaire. La plupart du temps, quand j'y passe, je
croise la masse compacte des gens qui vont à sens inverse. L'espace
clos réverbérant les discussions jusqu'à en faire bruire les murs.
Ce matin-là, le corridor
était désert, enfin presque. Il était habité par cinq itinérants,
stratégiquement éloignés les uns des autres. En les voyant, j'ai
eu l'impression d'entrer dans un tableau de jeu vidéo et que chacun
d'en eux était un obstacle à éviter, ce qui n'était pas tout à
fait possible, étant donné l'étroitesse des lieux. Je m'étais
sentie prendre mon souffle avant de m'avancer.
Au bout de trois
enjambées, environ, une main s'était tendue, presque timidement.
J'avais fait non de la tête. Quelque pas plus loin, c'était un
gobelet qu'on me présentait, plus près de mes propre mains. J'avais
baissé les yeux. Le troisième m'avait demander le lui payer le
déjeuner, le quatrième me demandait un ou deux dollars et le
cinquième m'avait suivie jusqu'à la guérite en me demandant cinq
dollars de manière plus qu'insistante. Avec ce type de discours que
les itinérants ont parfois pour tenter de culpabiliser les gens qui
ne leur donne rien.
Évidemment que je
culpabilisais. À quelques jours de Noël, toute cette solitude
m'attristait. Avoir peur d'eux, de leur différence et de leur
malheur, me peinait encore davantage. Cependant je savais que je ne
pouvais pas mettre la main à ma bourse une seule fois, il aurait
fallut que je le fasse pour tous et, franchement, je ne voyais pas
comment j'aurais pu arbitrairement décider qui méritait davantage
que qui. Surtout que ce sont tous des visages que je croise
pratiquement quotidiennement.
C'était un beau matin
qui sentait un peu l'hiver et qui me donnait l'impression d'être la
seule âme vivante à des kilomètres à la ronde. Le hic, c'était
que j'étais aussi la seule à qui tout le monde demandait l'obole.
Dans ces circonstances,
la meute des jours de semaine, me manquait... Un peu.
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