Émerger ironiquement
Ça faisait quelques
semaines à peine qu'il avait émergé. Si tant est qu'on ait pu dire
émerger en ce qui le concernait. Presque un an auparavant, la mère
de ses enfants l'avait quitté. Il en avait été complètement
ahuri. Les premiers jours, il n'y croyait même pas. Il nous disait
que Meredith avait simplement besoin d'une petite pause et qu'elle
finirait bien par reprendre ses esprits. Mais la décision était
finale et sans appel.
Au début, il avait
presque eu peur des moments où il serait seul avec les enfants. Il
se sentait gauche et maladroit, inadéquat. Avec le temps,
cependant, il s'était découvert un réseau de soutien insoupçonné,
pour l'aider à apprendre à faire ce qui ne lui venait pas
naturellement avec les petits; le genre de réflexes qu'il n'avait
pas développé tant que la nécessité ne l'avait pas mis au pied du
mur. Très lentement, il avait vu germé, si ce n'était des talents,
au moins un certain air d'aller dans sa nouvelle vie. Se référant
souvent à sa mère, à lui, dans les moments de crise pour panser
les maux d'enfants. Ce n'est pas la même chose quand on est seul
dans une équipe pour gérer ces situations délicates que lorsqu'on
est deux. Il pouvait aussi compter sur des amis pour des conseils,
des discussions sans jugement.
Depuis quelques temps, il
nous parlait de cette stagiaire qu'il croisait souvent. Nous ne
l'avions jamais vue, ce qui ne m'empêchait pas de commencer à me
faire une idée sur le personnage. Elle le faisait rire, il la
trouvait décomplexée et dégagée. Elle avait une dizaine d'années
de moins que nous, peut-être un peu plus. Quelque chose dans la
manière qu'il avait d'en parler me dérangeait. Pas que j'aie voulu
qu'il ne passe pas à autre chose, mais il y avait un truc sur lequel
je n'arrivait pas à mettre des mots qui me tarabustait le fond de
l'esprit.
Un soir où nous jouions
tous les deux les vieux ados, c'est-à-dire que nous prenions un
verre, un vendredi soir, en faisant et défaisant le monde à
l'envie, il m'avait raconté que cette jeune dame avait vécu une
rupture amoureuse sur fond d'avortement douloureux et j'avais compris
ce qui me dérangeait tant. J'avais alors demandé à mon ami :
« tu sais que si tu fais un pas vers elle, la première chose
qu'elle exigera d'une relation de couple sera d'avoir des enfants,
n'est-ce pas? » Il m'avait regardée comme si je descendait
directement d'un astéroïde. J'avais poursuivi : « C'est
vrai tu sais. Elle voit en toi un père, celui que tu es avec tes
enfants, celui que tu pourrais être pour les siens. »
Je ne crois pas qu'il
m'ait crue, sur le moment. Mais il s'est avéré que j'avais raison.
Platement.
Étrangement, il a eu
l'impression de la trahir en ne la choisissant pas.
Moi je suis convaincue
que c'est sa santé mentale qu'il avait privilégiée et, en ce sens,
il répondait très exactement à l'image de ce merveilleux papa
qu'elle se faisait de lui.
Une petite morsure de
l'ironie, dont il se serait bien passé, je crois
Libellés : Sur la frontière du réel
Que c'est bon de te lire ! Zou Xxx
Merci Zou, ma belle amie, d'avoir pris le temps de commenter et de me dire que tu me lis!