Dernier service
Ça
t'avais pris des mois pour t'approcher de lui assez pour qu'il te
voit. Tu avais même cesser de fumer, commencer à courir et repris
ta taille de jeune fille juste pour cela. Ou presque. C'était aussi
un peu pour toi, mais si peu. On se mesure généralement au regard
des autres, et tu le savais pertinemment. Et tu le suivais depuis des
années, glanant des informations de-ci de-là. Une première
conférence, à laquelle tu étais allée obligée t'avais obnubilée.
Tes
amies se payaient ta gueule à ce sujet, elle te trouvaient très
comique de t'être à ce point amourachée d'un mec que tu ne
connaissais que de loin, comme une adolescente qui fantasme sur un
chanteur. Tu en avais pourtant largement passé l'âge et
l'expérience.
Et
pourtant...
Il
était si charmant, si sûr de lui, si percutant et ses valeurs, du
moins celles que tu devinais de loin, étaient tellement semblables
aux tiennes. Tu t'étais surprise, plusieurs soirs à t'endormir en
discutant, en imagination, avec lui. Tu t'en sentais proche, assez
pour ne plus te sentir disponible pour d'autres hommes, amoureusement
parlant.
Tu
t'étais littéralement mise sur son chemin. Choisissant d'aller dans
les restos, les bars qu'il fréquentait. Au début, tu le faisait
avec les filles, puis seule parce que tu avais pris de l'assurance
dans tes propres manèges et que tu te disais qu'à force d'être
accompagnée, tu ne devais pas avoir l'air très disponible. Tu le
voulais.
Une
nuit trop longue, de l'alcool, qui n'excuse rien bien entendu, mais
qui faisait partie de ta donne, et ce blues de fin de soirée que tu
ne connaissais que trop bien sous les lumières hallucinantes du last
call. Mais tu ne t'attendais pas
à une telle violence, tu te croyais détraquée aux petites heures
du matin, en fuite devant ta propre vie.
Dans
la lumière étrange des matins sans conduite, tu ne savais plus que
penser. Au bout de trois douches, tu te sentais salie. Ton corps ne
t'appartenait plus. Tu avais voulu cet homme. Tu avais cherché son
attention et cru l'avoir obtenue.
Et
ça avait été la pire nuit de sexe de ta vie. Tu avais eu la
sensation qu'il se masturbait avec ton corps sans aucune espèce de
considération pour la femme que tu étais. Ça avait fait mal,
physiquement et psychologiquement. Tu lui avais demandé, au début,
d'y aller plus doucement et il avait ri en te répondant que tu
l'avais bien cherché. Alors tu t'étais tue.
Et
tu ne pouvais faire autrement que de lui donner raison, tu l'avais
cherché.
Sauf
que ce que tu avais trouvé, ne ressemblait en rien à ce que tu
avais espéré.
Et
que tu te sentais coupable, jusqu'à la moelle des os.
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