La laisse
J'avais beaucoup trop
d'affaires en tête avant de quitter la maison. En soirée, j'allais
chez Gentleman Renard, pour une petite soirée d'anniversaire.
J'avais préparé une salade césar, ce qui veut dire que j'avais
fait la vinaigrette, fait cuire le bacon, fait le beurre à l'ail,
préparé les croûtons, haché la laitue. Bref, il y avait plein de
détails à ne pas oublier avant de partir.
Comme je ne conduis pas,
mes visites chez le Gentleman en questions portent toujours leur
petit tracas de transport qui se règlent généralement très
facilement. Cette fois, la personne qui m'offrait le transport est un
homme avec qui j'avais partagé des tonnes de rires à l'école
secondaire, mais que je n'avais recroisé qu'une seule fois depuis,
plus de cinq ans plus tôt. Il venait me chercher au travail et
toutes les questions qui s'imposent se posaient, justement. Du genre,
est-ce qu'on va se trouver dans la cohue de la fin de journée d'un
samedi soir au Carrefour Laval? Va-t-on même se reconnaître. En
somme, j'étais ÉNERVÉE.
Le samedi matin, le
transport en commun ne me laisse pas beaucoup de répit. Je marche
donc jusqu'au métro Berri, beau temps mauvais temps. C'est le moyen
le plus rapide (et de loin) pour me rendre jusqu'à Laval. J'ai donc
ramassé mes cliques et mes claques en vérifiant bien que j'avais
tout ce dont j'avais besoin à l'aide d'une liste manuscrite avant de
quitter la maison. Sure de mon coup, je me suis rendue au métro,
comme d'habitude.
C'est rendue-là que je
me suis aperçue que j'avais oublié un petit détail. Tout petit...
J'avais oublié mon téléphone.
Ça l'air de rien comme
ça, mais de nos jours, un téléphone c'est comme l'extension de
soi-même. Et bien entendu, toute notre joyeuse organisation reposait
sur un fil de discussion Facebook. Et les réseaux sociaux sont
interdits d'accès au travail. Si on essaie d'y accéder, un message
d'erreur apparaît à l'écran. J'avais donc deux options : soit
je me passais de téléphone pour la journée, avec la possibilité
que la fête soit annulée ou mon transport annulé (sans que je
puisse en être informée) ou bedon je rebroussais chemin pour
récupérer l'appareil et j'arrivais largement en retard au travail.
J'ai choisi la première
option. Presque à mon corps défendant. J'ai passé tout le trajet à
me ronger les sang sur tout ce qui pourrait arrivé avant qu'on
vienne me chercher pour la soirée. J'ai imaginé mille manière de
me sortir de l'impasse, pour au moins avertir que je n'étais pas
joignable par les voies normales, ce jour-là. Il va sans dire que je
suis arrivée au travail encore plus stressée qu'à mon départ de
la maison. En plus, j'ai dû patienter plusieurs longues minutes
avant de pouvoir régler mon problème. Parce que j'arrive bien avant
les employés, histoire de sortir les caisses et faire toutes sortes
de petites choses nécessaires au bon fonctionnement d'une boutique,
avant son ouverture.
Ce n'est donc que
quelques minutes avant l'ouverture que j'ai pu mettre tout mon
orgueil en boîte et demander aux employés présents si quelqu'un
accepterait de me laisser utiliser son téléphone pour que je puisse
rapidement envoyer un message à mon fil de discussion histoire de
leur laisser savoir que j'étais sourde et muette pour la journée et
leur fournir un numéro de téléphone où me joindre, au cas-où.
Les employés ont ri de
moi. Mais m'ont généralement débloqué l'accès au langage.
J'ai survécu à la
journée et la soirée a été très sympathique, comme d'aucuns
auraient pu s'y attendre.
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