mercredi, avril 06, 2016

Rira bien qui rira le dernier

J'ai été ado à une époque où il ne faisait pas bon être toqué de science en général, ou de math en particulier. Les adeptes de ces sports cérébraux était qualifiés de nerds sans aucune forme de procès et leur niveau de popularité général parmi nos pairs était encore plus bas que le mien. Ma tare à moi était de dire à tous vents que j'aimais l'école, ce qui n'avait pas tellement meilleure presse, je dois bien l'avouer. Ce qui me sauvais, c'était que je n'étais pas très performante dans mes études, malgré mon plaisir de me trouver dans une salle de classe.

La seule personne, à ma connaissance, à qui le plaisir des maths était pardonné, était une punkette de trois pieds deux pouces qui était sauvée par ses goûts musicaux et son allure générale; après tout, l'essentiel était de ne pas avoir l'air nerd. Encore aujourd'hui, je lui sais gré de cet amour que je ne comprenais pas puisque j'ai réussi deux niveaux consécutifs parce que nous étions dans la même classe et que sans elle, je n'aurai jamais compris quoique ce soit.

M'enfin, en secondaire 4, je crois, ma classe comportait une forte délégation de ces nerds. Des gars, pour la plupart, que je méprisais, comme tout le monde. Je n'ai aucune idée pourquoi, quand j'y repense aujourd'hui, mais bon, allez donc comprendre le mépris adolescent, même à rebours. D'ailleurs, je crois bien que je faisais partie du groupe de ceux qu'ils méprisaient en retour, parce que je posais plein de question tout le temps, étant donné que je comprenais rarement un truc (surtout scientifique) du premier coup.

À travers cette meute, il y avait ce mec qui a partagé mon groupe de base pendant trois ans. Trois ans sur cinq, ça fait beaucoup. Il n'a jamais été mon ami, il n'a pas même été une personne à qui j'accordais le statut d'être humain. Le pauvre avait l'air physiquement fâché avec l'adolescence. Il était dégingandé, ses traits faciaux étaient largement disproportionnés, quasi asymétriques; son nez était trop gros, ses lèvres trop minces, ses yeux minuscules, cachés derrière des lunettes immenses lui donnaient une allure perpétuellement caricatural. Et il était d'une timidité maladive, ses tentatives d'exposés oraux en faisant foi.

Et pour ajouter l'insulte à l'injure, il était doté d'un nom ultra commun, du genre Martin Tremblay (ce n'est pas son nom, je vais me garder une petite gêne ici). Toujours est-il que ça en faisait un personnage très fantomatique, dans mon univers adolescent.

Et puis, il y a quelques temps, j'ai commencé à voir, souvent, à la télé ce mec qui avait fondé je ne sais plus trop combien de PME en informatique, qui fait partie de ces hommes singulièrement préservés par l'avancement des années. Un de ces hommes qui a l'air précisément bien dans sa peau et dans son environnement. Qui ne fanfaronne pas, qui est plus qu'autre chose un fabricant de l'ombre mais que de temps à autre on appelle comme expert, et ça m'a pris quelque chose comme trois ans pour faire le lien entre lui, et lui.

On dit souvent que la vengeance est un plat qui se mange froid, je crois que dans son cas, c'est exactement cela, si tant est que la vengeance tient en la réalisation de soi.

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