mercredi, avril 27, 2016

Quelques lambeaux de vie

On était en novembre, je crois ou peut-être octobre. En tout cas, la journée était morne et grise. Ou sur le point de l'être parce qu'il était encore tôt. Comme tous les matins, à Berri, une meute de gens se pressaient dans toutes les directions. On sentait bien que l'été était terminé parce que les corridors d'accès à la station s'étaient remplis des itinérants qui les hantent durant les jours froids. Ces visages que l'on croise quotidiennement, ou presque durant 6 mois sur 12, quand il ne fait pas trop bon traîner dans l'air vif de la ville, sans toit sur la tête.

Près de l'entrée de la rue Maisonneuve, sous la Place Dupuis, il y avait ce couple qui se serrait sous une couverture avec deux chiens. Malgré la bise, ils étaient dehors parce que, me semblait-il, les chiens ne sont pas admis à l'intérieur, malgré le fait qu'avec les rénovations qui prennent toute la place depuis quelques mois, on pourrait se croire dans un immeuble désaffecté lorsqu'on y met les pieds.

Lui, il avait l'air d'avoir la fin vingtaine, mais son visage émacié laissait clairement voir que la vie l'avait usé à la corde. Il avait les mains tatouées et des croûtes au visage. Ses cheveux étaient crasseux et à l'odeur, il était évident qu'il y avait longtemps qu'il n'avait pas eu l'occasion de se laver, à moins qu'il ne fut tout bonnement fâché avec le concept de propreté, je ne pouvais le deviner. Pourtant, les chiens qui apparaissaient appartenir au jeune homme, eux avaient l'air en pleine santé, bien nourris et aussi propres que faire se peut pour un duo qui habite les rues.

Elle, qui ne devait pas encore avoir vingt ans, portait un anorak de bonne qualité, ses cheveux blonds étaient longs et lustrés. La facture de son foulard et de ses mitaines l'était tout autant. Elle avait les joues rosies par la température ambiante. En somme, elle détonnait considérablement dans le portrait. Je ne me rappelle plus trop ce que j'attendais avant d'entrer dans le métro, quelqu'un sans doute, toujours est-il que je suis restée plantée près d'eux pendant une dizaine de minutes.

À cette proximité, il m'était impossible de ne pas entendre ce qui se racontait à mes côtés. En fait, je ne comprenais pas trop ce qu'il racontait dans un étrange mélange d'anglais et de français (l'anglais étant audiblement sa langue d'usage courante), sinon qu'il donnait l'impression d'essayer de pousser la jeune fille hors de sa vie. Il lui répétait quasi inlassablement « Pars, Geneviève, go away ».

Je les ai oubliés sitôt la porte passée. Un moment donné, je dois murer mon cœur contre toute cette douleur humaine qui m'entoure, je n'ai pas le choix si je veux survivre dans cette faune bigarrée qui est la mienne.

Mais la semaine dernière, dans les corridors de la station, j'ai reconnu l'anorak et le foulard de la fille. Ça m'a pris un moment avant de la resituer dans mes souvenir parce qu'elle avait vieilli de dix ans en six mois. C'était à son tour d'avoir les yeux hagards, le visage émacié et la peau croûtée. Ses mains étaient tordues comme celles d'une vieille femmes de plus de quatre-vingt ans. Elle était seule, sans le gars et sans les chiens.

Toute seule avec sa dépendance et les lambeaux de sa vie.

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