De la violence des garçons
Tu te disais que la vie,
finalement n'était pas un long fleuve tranquille. Il te semblait que
tout ce qui faisait ton bonheur, enfant, avait abandonné ton
existence. Tu te sentais si vieux dans ton corps trop grand pour toi.
Tu te sentais non pas martien, beaucoup trop commun, mais à tout le
moins né dans une société qui n'avait que faire de toi. Oh, tu
savais bien que tes parents t'aimais. Mais qu'est-ce que peut bien
vouloir dire l'amour parental quand on est adolescent? C'est d'une
importance somme toute minime en comparaison au regard que tes pairs
portaient (ou ne portaient pas) sur toi.
Alors, un soir tu avais
posé un geste d'une violence inouïe, contre toi.
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Tu te disais que la vie,
finalement, ne remplissait pas ses promesses. Tu croyais que les
filles étaient belles et charmantes, que si tu étais gentil avec
elles, que tu étais leur ami, tu pourrais un jour devenir leur
amoureux. Ça avait assez bien fonctionné, mais pas avec elle.
Elle ne te méprisait pas, répondait à tes appels, allait prendre un
café de temps à autres avec toi, mais elle n'était pas amoureuse.
Pas de toi. Et tu n'avais plus supporté de penser que peut-être un
jour elle serait amoureuse d'un autre.
Alors,
un soir, tu avais posé un geste d'une violence inouïe, contre elle.
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Tu
te disais que de toute manière tu n'étais pas né dans la bonne
tribu. Chez-toi, dans ton village tout entier, le spleen se faisait
grand. Tu avais l'impression que le seul accomplissement possible
était d'être capable de descendre toute une caisse de 24, en une
soirée, sans tomber dans le coma éthylique. Ton avenir, tu le voyais
dans le fond d'une bouteille, au bout d'une pipe ou sur le fil d'une
aiguille plus grande que toi.
Alors
un soir, tu avais posé un geste d'une violence inouïe, contre toi
ou quelqu'un d'autre, rendu-là le résultat est à peu près le
même.
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Dans
tous les cas, tu avais caché ta douleur, affichant les sourires de
circonstances aux moments opportuns, taisant à tout prix la
l'obscurité qui hantait ce qui pouvait te tenir lieu de devenir.
Puis
moi je me dis que nous sommes collectivement responsables de tous ces
désastres parce que nous n'avons pas su te montrer que l'avenir se
construit un pas à la fois, même s'il faut reculer, parfois.
Libellés : Digressions, Sur la frontière du réel