Ma Dalton
Ça fait un certain temps
que je croise cette dame à l'heure de pointe sur le quai du métro
Berri. La première fois, elle m'a amusée, la seconde, un peu moins
et les fois suivantes un tantinet irritée.
C'est un minuscule bout
de femme. Elle ne doit pas faire cinq pieds. Elle est jeune, plus
jeune que moi en tout cas, je dirais trente, trente-cinq ans. Elle
est aussi filiforme que petite et me semble déborder d'énergie et
de confiance en elle-même.
Comme je ne la connais
absolument pas, je m'imagine qu'elle a l'habitude que tout lui
réussisse et surtout que tout lui soit dû.
C'est du moins ce que son
attitude laisse transparaître.
À tous les coups, elle
arrive sur le quai, à bout de souffle, quelques secondes avant que
le train n'entre en gare. Alors, elle se met à jouer du coude pour
dépasser tout le monde et se planter dans le milieu du chemin
lorsque les portes s'ouvrent, créant, par le fait même une jolie
cohue désordonnée parmi les gens qui tentent de sortir du wagon
tandis qu'elle reste immobile jusqu'à ce qu'un minuscule espace se
crée et qu'elle s'engouffre, avant que tous les passagers qui
veulent partir ne soient effectivement sortis, dans la voiture.
Aussitôt entrée, elle
se garoche invariablement sur le même banc. Elle semble se l'être
approprié. Où croire qu'il lui appartienne, c'est selon le point de
vue, je suppose. Si ce dernier n'est pas libre, elle se s'installe
devant ledit banc, en foudroyant du regard la personne qui l'occupe
tout en poussant de longs soupirs et en tapant du pied. Sans aucun
espèce d'égards pour l'âge, l'infirmité ou quoique ce soit
d'autre qui pourrait accorder la priorité de la place assise à qui
que ce soit. Il n'est pas rare que son petit manège fonctionne
d'ailleurs, et que la personne qui occupe l'espace le lui cède.
Elle s'assoit alors
satisfaite.
On pourrait croire
qu'elle a un long trajet à faire, mais rien n'est plus faut. Elle
descend à Rosemont, soit quatre stations après le début de sa
course.
Ce matin, ça ne me
tentait pas de me laisser encore pousser par cette petite teigne.
Alors j'ai fait barrage de mon corps et me suis précipitée sur son
banc avant elle. Je me demande encore comment il se fait que je sois
encore vivante vu la vigueur avec laquelle elle me mitraillait du
regard.
C'est
en la regardant sortir, que je me suis dit qu'elle me rappelait
terriblement Ma Dalton.
En plus jolie.
En plus jolie.
Et
ça ne m'a qu'amuser davantage de ne m'être pas laisser intimider.
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