Le lever de la reine
7h18 métro Berri ,
la jeune femme fait une entrée précipitée dans le train. Elle
porte des vêtements sports trop grands tandis que sa chevelure
abondante est retenue par un chouchou qui laisse échapper quelques
mèches rebelles. Ses grands yeux noirs sont encore bouffis de
sommeil et le rauque de sa voix laisse présager que le réveil est
très récent. Un grand café à la main, elle se laisse choir sur
les bancs qui me font face, tandis que son amoureux, rigolant,
s'assied à proximité.
Sherbrooke :
ouverture de la caverne d’Ali-baba, ou plutôt du cabas d'Ali-baba,
sitôt le café terminé. De mon observatoire, j'ai l'impression que
ledit sac contient toute une vie, tellement il est gros et semble
receler des merveilles. L'amoureux amusé, plonge le nez dans un
roman de Romain Gary tandis que la jeune femme s'affaire.
Mont-Royal :
apparition de la trousse à maquillage mettant en vedette le miroir
de poche. Apparition aussi d'une bouteille d'eau et d'une
débarbouillette pour les ablutions matinales. J'en suis ébahie.
Laurier : exercices
faciaux pour dénouer les muscles. Rosemont : application
méthodique du fond de teint. Beaubien : différents types de
caches-cernes sont de la partie. Jean-Talon, petite pause, le temps
de laisser le wagon se vider pour mieux se remplir.
Jarry : tout le
fourbis du cabas se retrouve sur le sol du train, tandis qu'à force
de contorsions qui dureront jusqu'à Sauvé, les vêtements de sports
sont délaissés au profit d'une petite robe estivale. Il ne reste
que la grande veste savamment ouverte pour laisser voir le galbe
parfait de l'épaule droite. Le public que je suis n'aura pas vu
l'ombre d'un sous-vêtement ni une parcelle de peau qui n'aurait pas
dû être montrée.
Henri-Bourrassa :
application des fards (à paupières et à joues). Cartier :
eye-liner, mascara et rouge à
lèvres. De la Concorde : le chouchou prend le bord avec luxe
mouvements de la tête pour donner du volume à la chevelure et me
trouve chanceuse que l'époque des laques à tout prix soit passée,
parce que je serais sans doute morte étouffée.
Le
fourbis reprend le chemin du cabas, avec en prime la paire de
chaussures éventées qui s'apparentent singulièrement à des
pantoufles, remplacées par d'élégantes sandales à hauts talons.
L'amoureux ramasse la chose, qui a des airs de poche de hockey au
moment où elle ajuste une jolie petite sacoche toute discrète qui
complète sa tenue.
Montmonrency,
7h41, une jeune femme professionnelle et bien mise émerge de la
rame, fraîche comme une rose, laissant croire à tous les quidams
qu'elle pourra croiser qu'elle est tout à fait à son affaire et
prête pour sa journée.
Moi
je reste sidérée d'avoir assisté, au premier rang, au lever de la
reine, version 2016.
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