dimanche, mai 15, 2016

Le lever de la reine

7h18 métro Berri , la jeune femme fait une entrée précipitée dans le train. Elle porte des vêtements sports trop grands tandis que sa chevelure abondante est retenue par un chouchou qui laisse échapper quelques mèches rebelles. Ses grands yeux noirs sont encore bouffis de sommeil et le rauque de sa voix laisse présager que le réveil est très récent. Un grand café à la main, elle se laisse choir sur les bancs qui me font face, tandis que son amoureux, rigolant, s'assied à proximité.

Sherbrooke : ouverture de la caverne d’Ali-baba, ou plutôt du cabas d'Ali-baba, sitôt le café terminé. De mon observatoire, j'ai l'impression que ledit sac contient toute une vie, tellement il est gros et semble receler des merveilles. L'amoureux amusé, plonge le nez dans un roman de Romain Gary tandis que la jeune femme s'affaire.

Mont-Royal : apparition de la trousse à maquillage mettant en vedette le miroir de poche. Apparition aussi d'une bouteille d'eau et d'une débarbouillette pour les ablutions matinales. J'en suis ébahie.

Laurier : exercices faciaux pour dénouer les muscles. Rosemont : application méthodique du fond de teint. Beaubien : différents types de caches-cernes sont de la partie. Jean-Talon, petite pause, le temps de laisser le wagon se vider pour mieux se remplir.

Jarry : tout le fourbis du cabas se retrouve sur le sol du train, tandis qu'à force de contorsions qui dureront jusqu'à Sauvé, les vêtements de sports sont délaissés au profit d'une petite robe estivale. Il ne reste que la grande veste savamment ouverte pour laisser voir le galbe parfait de l'épaule droite. Le public que je suis n'aura pas vu l'ombre d'un sous-vêtement ni une parcelle de peau qui n'aurait pas dû être montrée.

Henri-Bourrassa : application des fards (à paupières et à joues). Cartier : eye-liner, mascara et rouge à lèvres. De la Concorde : le chouchou prend le bord avec luxe mouvements de la tête pour donner du volume à la chevelure et me trouve chanceuse que l'époque des laques à tout prix soit passée, parce que je serais sans doute morte étouffée.

Le fourbis reprend le chemin du cabas, avec en prime la paire de chaussures éventées qui s'apparentent singulièrement à des pantoufles, remplacées par d'élégantes sandales à hauts talons. L'amoureux ramasse la chose, qui a des airs de poche de hockey au moment où elle ajuste une jolie petite sacoche toute discrète qui complète sa tenue.

Montmonrency, 7h41, une jeune femme professionnelle et bien mise émerge de la rame, fraîche comme une rose, laissant croire à tous les quidams qu'elle pourra croiser qu'elle est tout à fait à son affaire et prête pour sa journée.

Moi je reste sidérée d'avoir assisté, au premier rang, au lever de la reine, version 2016.


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