Le mantra
Ce voyage avait pourtant
bien commencé. Du moins, le plan d'avant le voyage semblait super.
Deux filles en jeune trentaine, l'Europe dans un circuit pas tout à
fait organisé. Un petit brin d'autonomie pour se donner l'impression
de pouvoir un peu faire ce que l'on voulait dans les villes que nous
visitions et rien à prévoir rendu sur place pour les couchers et
pour le transport entre les différentes destinations. Il me semblait
que c'était quelque chose s'approchant du nec-plus-ultra pour un
premier séjour outre Atlantique.
C'était sans compter sur
ce que ma compagne de voyage et moi avons compris, à la dure, sur
nos personnalités contradictoires dans ce genre d'environnement.
C'est bizarre à quel point on peut s'entendre à merveille avec
quelqu'un dans la vie de tous les jours, quand on retourne dormir
chez-soi avec nos petites bébites qu'on ne présente jamais face
publique, et la réalité du voyage qui nous fait nous retrouver
vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec la même personne que l'on
ne connaissait pas tant que cela.
Je ne dirai pas qu'elle
était horrible, ce serait mentir. Je dirais, cependant que nous ne
nous convenions absolument pas comme compagnes de voyage. Point à la
ligne.
Pour m'éviter de me
gâcher le voyage, je m'étais mise à jaser avec d'autres personnes
du groupe avec lequel nous faisions les étapes. Tous des Québécois.
Dont une femme qui me faisait beaucoup rire et avec laquelle j'avais
passé des heures à jouer aux cartes. J'aime jouer aux cartes,
surtout avec quelqu'un qui a de la conversation. Cette dame en avait.
Elle était une conteuse
qui s'ignore. Elle me disait continuellement qu'elle radotait. Moi,
je buvais ses paroles. Ses anecdotes sur ses enfants étaient
truculentes. Je savais bien qu'il existait un décalage certain entre
ce qu'elle me faisait vivre par ses mots et le moment où elle me les
racontait parce que ses enfants, selon ses dires, n'étaient jamais
sortis de l'adolescence. Pourtant, je savais, toujours par ses
informations qu'ils étaient désormais adultes et parents à leur
tour. D'ailleurs, elle me disait souvent, en clignant de l'oeil:!
« J'ai un fils » comme un mantra.
Ça me faisait bien
rigoler cette insistance. Je ne le connaissais pas, il ne me
connaissait pas. Je n'avais aucune espèce d'idée de ce à quoi il
ressemblait et bien honnêtement, n'avais pas non plus tant envie que
cela de savoir qui c'était. C.'était e genre de blague de vacances
qui était destiné à rester une blague de vacances.
Et me voilà, quelques
années plus tard, en couple avec ledit fils qui a eu le courage de
me contacter, au travail. En m'envoyant une fausse demande d'emploi
complètement ridicule pour le profil recherché. Le genre de truc
que je rejette d'ordinaire du revers de la main, mais j'étais allée
jusqu'au bout de la lettre d'introduction juste parce qu'elle était
bien foutue. Et c'est là que j'avais compris qu'il était le fils
dont mon récent voyage m'avait baratiné les oreilles.
Je lui avait donné
rendez-vous par respect pour sa mère. Je l'ai aimé, par respect
pour lui.
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