Ces bruits du silence
- Grrriiissshhhh-tchak !
- Grrriiissshhhh-tchak !
- Grrriiissshhhh-tchak !
- Grrriiissshhhh-tchak !
Le bruit se rapprochait
sur le quai silencieux. Si tant est qu'un quai de métro puisse
l'être. Ça arrive, presque, les matins de fin de semaines. Personne
ne parle, les gens ont les yeux encore ensommeillés, et pas un
quidam n'a les oreilles encore assez réveillées pour écouter son
baladeur à une force assez soutenue pour que les êtres l'entourant
en subissent les contre-coups.
Ce matin-là, je n'avais
aucune idée de l'origine du bruit. Ce qui ne m'empêchait pas de
rire sous cape à cause de tout ce que mes oreilles avaient capté
entre mon domicile et ce quai à cette heure à laquelle j'aime
marcher dans mon quartier, à cause de sa quiétude justement.
À peine avais-je passé
le pas de la porte de mon domicile que je m'étais trouvée face à
une escarmouche entre deux hommes maganés. Je n'avais pas essayé de
savoir à quel sujet, changeant plutôt rapidement de trottoir,
histoire de ne pas me retrouver dans leurs pattes. Il pleuvait
doucement sur le bitume, assez pour que mes bras soient un peu
humides mais pas suffisamment pour que je sois détrempée à
l'arrivée. Ces matins-là, sont ordinairement encore plus paisibles
que les autres, puisque les marcheurs de chiens s'y font discrets et
que les ruelles ne résonnent pas des babillages infantiles qui les
animent généralement.
Mais au coin d'une rue
déserte, j'avais entendu un fond musical western. J'avais
l'impression qu'il arrivait de tous les côtés en même temps.
J'allais regarder derrière moi, histoire de voir si je ne pouvais
pas y trouver l'origine de ce son quand une chaise motorisée est
sortie de la ruelle que j'allais croiser. Juché à son bord, trônait
un cow-boy, aussi fier et digne que s'il eut monté un destrier dans
un cadre plus approprié à son tempérament. Un radio suranné, bien
installé dans le panier à l'avant laissait fuser les notes que
j'avais entendu pendant qu'un homme encore soûl (ou peut-être déjà
soûl) sur son balcon s'écriait : « Saint-Tite,
calice ! » J'avais étouffé un fou rire avant de
continuer mon chemin.
Sur le quai, j'avais fini
par localiser une jeune fille qui s'y promenait de long en large en
coupant des morceaux de ruban adhésif de la petite roulette qu'elle
tenait à la main. Elle collait les morceaux de l'exacte même
dimension sur le support en plastique de sa roulette en attendant
l'entrée en gare du train, faisant réverbérer dans les tunnels les
bruits incongrus que j'avais perçus.
Une fois installée dans
le train, j'ai vu la jeune fille changer de wagon à toutes les
stations, dans un sens comme dans l'autre entre Berri et Montmorency,
s'asseyant trois secondes maximum sur des bancs libres, le temps de
coller sur une page blanche un de ses précieux morceaux de ruban.
Je ne sais pas si tel est
le cas pour d'autres que moi, mais décidément, j'aime beaucoup
tendre mes antennes vers tous ces êtres que je croise, dans les
rues, les transports en commun ou encore les mails de centre
commerciaux. Ça me donne, il me semble, un aperçu sur l'humanité,
malgré le fait que celui-ci soit montréalocentriste.
C'est le biais avec
lequel je dois vivre, et je ne m'en plains pas.
Libellés : Digressions