dimanche, août 14, 2016

Ces bruits du silence

- Grrriiissshhhh-tchak !
- Grrriiissshhhh-tchak !
- Grrriiissshhhh-tchak !
- Grrriiissshhhh-tchak !

Le bruit se rapprochait sur le quai silencieux. Si tant est qu'un quai de métro puisse l'être. Ça arrive, presque, les matins de fin de semaines. Personne ne parle, les gens ont les yeux encore ensommeillés, et pas un quidam n'a les oreilles encore assez réveillées pour écouter son baladeur à une force assez soutenue pour que les êtres l'entourant en subissent les contre-coups.

Ce matin-là, je n'avais aucune idée de l'origine du bruit. Ce qui ne m'empêchait pas de rire sous cape à cause de tout ce que mes oreilles avaient capté entre mon domicile et ce quai à cette heure à laquelle j'aime marcher dans mon quartier, à cause de sa quiétude justement.

À peine avais-je passé le pas de la porte de mon domicile que je m'étais trouvée face à une escarmouche entre deux hommes maganés. Je n'avais pas essayé de savoir à quel sujet, changeant plutôt rapidement de trottoir, histoire de ne pas me retrouver dans leurs pattes. Il pleuvait doucement sur le bitume, assez pour que mes bras soient un peu humides mais pas suffisamment pour que je sois détrempée à l'arrivée. Ces matins-là, sont ordinairement encore plus paisibles que les autres, puisque les marcheurs de chiens s'y font discrets et que les ruelles ne résonnent pas des babillages infantiles qui les animent généralement.

Mais au coin d'une rue déserte, j'avais entendu un fond musical western. J'avais l'impression qu'il arrivait de tous les côtés en même temps. J'allais regarder derrière moi, histoire de voir si je ne pouvais pas y trouver l'origine de ce son quand une chaise motorisée est sortie de la ruelle que j'allais croiser. Juché à son bord, trônait un cow-boy, aussi fier et digne que s'il eut monté un destrier dans un cadre plus approprié à son tempérament. Un radio suranné, bien installé dans le panier à l'avant laissait fuser les notes que j'avais entendu pendant qu'un homme encore soûl (ou peut-être déjà soûl) sur son balcon s'écriait : « Saint-Tite, calice ! » J'avais étouffé un fou rire avant de continuer mon chemin.

Sur le quai, j'avais fini par localiser une jeune fille qui s'y promenait de long en large en coupant des morceaux de ruban adhésif de la petite roulette qu'elle tenait à la main. Elle collait les morceaux de l'exacte même dimension sur le support en plastique de sa roulette en attendant l'entrée en gare du train, faisant réverbérer dans les tunnels les bruits incongrus que j'avais perçus.

Une fois installée dans le train, j'ai vu la jeune fille changer de wagon à toutes les stations, dans un sens comme dans l'autre entre Berri et Montmorency, s'asseyant trois secondes maximum sur des bancs libres, le temps de coller sur une page blanche un de ses précieux morceaux de ruban.

Je ne sais pas si tel est le cas pour d'autres que moi, mais décidément, j'aime beaucoup tendre mes antennes vers tous ces êtres que je croise, dans les rues, les transports en commun ou encore les mails de centre commerciaux. Ça me donne, il me semble, un aperçu sur l'humanité, malgré le fait que celui-ci soit montréalocentriste.

C'est le biais avec lequel je dois vivre, et je ne m'en plains pas.

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