Reconnaître l'inconnue
Pendant plusieurs années,
les matins de fin de semaine, je voyais la même femme venir
sélectionner un paquet impressionnant de revues qu'elle feuilletait
pendant une heure ou deux sans jamais en acheter, ni acheter quoi que
ce soit d'autre, d'ailleurs. Comme la plupart des feuilleteurs de
magazines, elle ne les replaçait pas, j'avais donc l'occasion de
constater que ses préférence allaient vers la musique,
particulièrement les instruments de musique.
Je trouvais étrange
d'être la seule personne de l'équipe à la remarquer puisqu'il
s'agissait visiblement d'une transgenre. Ce qui fait qu'elle avait un
look et une stature pour le moins visibles. Si je la voyais
régulièrement, jamais je ne l'ai entendu parler et malgré le fait
que je lui ai souvent souri, elle ne me rendait pas pas la politesse.
J'avais supposé qu'elle n'aimait pas le regard que je portais sur
elle, ce que je trouvais assez ironique étant donné que je vis dans
un des quartiers de Montréal où on en voit le plus. Je ne suis donc
ni surprise ni choquée par ce type d'apparence. Qui plus est, je
crois que je ne l'aurais pas trop vue si ça n'avait été des piles
de magazines que j'ai eu a replacer derrière elle, hebdomadairement.
Elle avait cessé de se
présenter en magasin quand nous avions retiré les magazines.
Sortant ainsi de ma mémoire.
Toutes les stations de
métro ne sont pas pourvues de musiciens de qualité égales.
Malheureusement pour moi, j'ai régulièrement l'impression que le
métro Papineau n'est pas tout à fait l'espace le plus couru.
Souvent, c'est la même petite bonne femme, bizarrement attriquée
qui chante a cappella des
trucs pêle-mêle sans mélodie réelle dans lesquels il est
continuellement question de Dieu. Ses musiques me font beaucoup
penser à l’œuvre de Normand L'Amour, si vous voyez ce que je veux
dire.
Pas
hier soir, cependant. Dès ma sortie du wagon, j'ai été
agréablement surprise d'entendre une énorme voix masculine, claire
et juste. Un homme jouait du clavier tandis qu'une femme, dont je ne
voyais que les pieds l'accompagnait à la basse. Je m'abstiens, la
plupart du temps, de verser l'obole aux musiciens du métro, je ne le
fais que lorsque je suis franchement impressionnée. C'est donc en
relevant la tête après avoir déposé mes quelques dollars que j'ai
réalisé que la bassiste était ma cliente de magazines depuis
longtemps disparue. Je l'ai regardée quelques instants interloquée
et elle m'a souri, d'un espèce de sourire de connivence fort
charmant.
Et
c'est sorti tout seul, je lui ai dit : « Oh, je suis
contente de vous voir ! » simplement et naturellement. Son
sourire s'est élargit jusqu'à ses yeux.
Je
crois que j'ai fait sa journée.
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