dimanche, août 07, 2016

Reconnaître l'inconnue

Pendant plusieurs années, les matins de fin de semaine, je voyais la même femme venir sélectionner un paquet impressionnant de revues qu'elle feuilletait pendant une heure ou deux sans jamais en acheter, ni acheter quoi que ce soit d'autre, d'ailleurs. Comme la plupart des feuilleteurs de magazines, elle ne les replaçait pas, j'avais donc l'occasion de constater que ses préférence allaient vers la musique, particulièrement les instruments de musique.

Je trouvais étrange d'être la seule personne de l'équipe à la remarquer puisqu'il s'agissait visiblement d'une transgenre. Ce qui fait qu'elle avait un look et une stature pour le moins visibles. Si je la voyais régulièrement, jamais je ne l'ai entendu parler et malgré le fait que je lui ai souvent souri, elle ne me rendait pas pas la politesse. J'avais supposé qu'elle n'aimait pas le regard que je portais sur elle, ce que je trouvais assez ironique étant donné que je vis dans un des quartiers de Montréal où on en voit le plus. Je ne suis donc ni surprise ni choquée par ce type d'apparence. Qui plus est, je crois que je ne l'aurais pas trop vue si ça n'avait été des piles de magazines que j'ai eu a replacer derrière elle, hebdomadairement.

Elle avait cessé de se présenter en magasin quand nous avions retiré les magazines. Sortant ainsi de ma mémoire.

Toutes les stations de métro ne sont pas pourvues de musiciens de qualité égales. Malheureusement pour moi, j'ai régulièrement l'impression que le métro Papineau n'est pas tout à fait l'espace le plus couru. Souvent, c'est la même petite bonne femme, bizarrement attriquée qui chante a cappella des trucs pêle-mêle sans mélodie réelle dans lesquels il est continuellement question de Dieu. Ses musiques me font beaucoup penser à l’œuvre de Normand L'Amour, si vous voyez ce que je veux dire.

Pas hier soir, cependant. Dès ma sortie du wagon, j'ai été agréablement surprise d'entendre une énorme voix masculine, claire et juste. Un homme jouait du clavier tandis qu'une femme, dont je ne voyais que les pieds l'accompagnait à la basse. Je m'abstiens, la plupart du temps, de verser l'obole aux musiciens du métro, je ne le fais que lorsque je suis franchement impressionnée. C'est donc en relevant la tête après avoir déposé mes quelques dollars que j'ai réalisé que la bassiste était ma cliente de magazines depuis longtemps disparue. Je l'ai regardée quelques instants interloquée et elle m'a souri, d'un espèce de sourire de connivence fort charmant.

Et c'est sorti tout seul, je lui ai dit : « Oh, je suis contente de vous voir ! » simplement et naturellement. Son sourire s'est élargit jusqu'à ses yeux.

Je crois que j'ai fait sa journée.

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