Récolter les bribes du réel
Il me semble que c'était
pendant les vacances d'hiver. Celles qui le coupent en deux. Je
jouais à la poupée dans ma chambre avec une amie, Marie qu'elle
s'appelait, nous avions conçu une maison dont les chambres étaient
sous mon bureau. Quand la porte s'est ouverte, nous étions toutes
les deux sous le bureau, bien affairées à nos chimères et ma mère
nous a dit : « Il y a Jacques au téléphone, il veut
savoir si ça vous dirait d'aller voir La guerre des tuques
au cinéma dans une heure ? » Jacques, c'était le papa de
Marie. On s'est regardées toutes les deux avant d'exploser de joie
et de nous exploser la tête sur les arrêtes du meuble, en
trépignant sur place.
On
ne savait pas vraiment ce qu'était ce film, sinon qu'on en entendait
beaucoup parler déjà. On savait que c'était un film avec des
enfants ; des vrais enfants. Alors forcément, on était
curieuses d'aller le voir et qu'on ne pouvait pas refuser une telle
proposition.
C'est
étrange, parce que je me rappelle précisément le moment de la
proposition du film, mais absolument pas de la séance de cinéma. Le
film par contre, m'a profondément marquée, comme il a marqué une
bonne partie des gens de ma génération. C'était un film, au cinéma
et les acteurs avaient mon âge, ou peu s'en faut. En plus, ils
parlaient ma langue. Pas le français, j'avais vu déjà plusieurs
films en français, beaucoup de films d'animation dont les
personnages étaient des enfants, mais ils parlaient un français qui
n'était pas le mien. Qui plus est, les décors ne ressemblaient
généralement en rien à ma réalité.
Ce
jour-là cependant, j'avais sous les yeux une histoire de vacances de
Noël dans un décors que j'avais déjà vu, de mes propres yeux. Pas
le fort on s'entend, mais le reste, je le connaissais. C'étaient des
enfants qui n'avaient pas peur de la neige ni du froid. Des enfants
qui bougeaient pour ne pas se retrouver transis. Ce jour-là, j'ai
compris que les histoires dans ma tête pouvaient s'inscrire dans le
décors que j'habitais. Ce n'est pas rien. Un raz-de-marée de
possibilités.
Plus
besoin d'écrire Il était une fois
avant de débuter quelque chose, plus besoin de camper un décors
dans une lointaine contrée ; une histoire pouvait vivre, faire
rire et faire pleurer en même pas deux heures avec mon accent, mes
référents et ma poésie.
J'ai
pensé toute l'année à cette anecdote, celle des deux petites
filles qui se cognent la tête de concert sous un meuble parce qu'on
leur propose une activité stimulante et parce que j'ai baigné dans
la version 3D de ce long métrage qui m'avait tant parlé. Je n'avais
pas trouvé l'angle pour l'aborder. Mais ce soir, au soir des soirs
de la vie de monsieur Melançon, je me suis dit que je pouvais
prendre ma plume pour le remercier de m'avoir ouvert ces portes sur
mon imagination.
Parce
que je suis avant tout une portraitiste fantaisiste de mon réel,
aussi traficoté soit-il.
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