jeudi, août 25, 2016

Récolter les bribes du réel

Il me semble que c'était pendant les vacances d'hiver. Celles qui le coupent en deux. Je jouais à la poupée dans ma chambre avec une amie, Marie qu'elle s'appelait, nous avions conçu une maison dont les chambres étaient sous mon bureau. Quand la porte s'est ouverte, nous étions toutes les deux sous le bureau, bien affairées à nos chimères et ma mère nous a dit : « Il y a Jacques au téléphone, il veut savoir si ça vous dirait d'aller voir La guerre des tuques au cinéma dans une heure ? » Jacques, c'était le papa de Marie. On s'est regardées toutes les deux avant d'exploser de joie et de nous exploser la tête sur les arrêtes du meuble, en trépignant sur place.

On ne savait pas vraiment ce qu'était ce film, sinon qu'on en entendait beaucoup parler déjà. On savait que c'était un film avec des enfants ; des vrais enfants. Alors forcément, on était curieuses d'aller le voir et qu'on ne pouvait pas refuser une telle proposition.

C'est étrange, parce que je me rappelle précisément le moment de la proposition du film, mais absolument pas de la séance de cinéma. Le film par contre, m'a profondément marquée, comme il a marqué une bonne partie des gens de ma génération. C'était un film, au cinéma et les acteurs avaient mon âge, ou peu s'en faut. En plus, ils parlaient ma langue. Pas le français, j'avais vu déjà plusieurs films en français, beaucoup de films d'animation dont les personnages étaient des enfants, mais ils parlaient un français qui n'était pas le mien. Qui plus est, les décors ne ressemblaient généralement en rien à ma réalité.

Ce jour-là cependant, j'avais sous les yeux une histoire de vacances de Noël dans un décors que j'avais déjà vu, de mes propres yeux. Pas le fort on s'entend, mais le reste, je le connaissais. C'étaient des enfants qui n'avaient pas peur de la neige ni du froid. Des enfants qui bougeaient pour ne pas se retrouver transis. Ce jour-là, j'ai compris que les histoires dans ma tête pouvaient s'inscrire dans le décors que j'habitais. Ce n'est pas rien. Un raz-de-marée de possibilités.

Plus besoin d'écrire Il était une fois avant de débuter quelque chose, plus besoin de camper un décors dans une lointaine contrée ; une histoire pouvait vivre, faire rire et faire pleurer en même pas deux heures avec mon accent, mes référents et ma poésie.

J'ai pensé toute l'année à cette anecdote, celle des deux petites filles qui se cognent la tête de concert sous un meuble parce qu'on leur propose une activité stimulante et parce que j'ai baigné dans la version 3D de ce long métrage qui m'avait tant parlé. Je n'avais pas trouvé l'angle pour l'aborder. Mais ce soir, au soir des soirs de la vie de monsieur Melançon, je me suis dit que je pouvais prendre ma plume pour le remercier de m'avoir ouvert ces portes sur mon imagination.

Parce que je suis avant tout une portraitiste fantaisiste de mon réel, aussi traficoté soit-il.

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