De l'intimidation
Des fois je me dis que je
suis une bien drôle de personne. J'ai toujours adoré aller à
l'école et pourtant, pas grand chose ne m'y prédisposait. Pas que
je sois une crétine finie, loin de là, mais je n'ai jamais été
première de classe et contrairement à beaucoup de mes amies, qui
elles l'étaient, il ne me suffisait pas d'écouter en classe pour
réussir. Je devais travailler, faire mes devoirs et mes leçons, et
je ne peux pas dire que j'y étais particulièrement dévouée ;
j'avais bien trop peur de passer pour une nerd si j'étais prise à
aimer faire ce genre de chose. Et s'il y a un étiquette que je
voulais à toute force éviter de porter, c'était celui-là.
Parce que j'avais fait
l'expérience de l'intimidation dans mon enfance. À l'époque, on ne
disait pas que c'était de l'intimidation. On était dans la gang ou
on ne l'était pas. On était in
ou on était out.
Enfant, je comprenais que je n'étais pas admise par les leaders de
ma classe. C'était pas mal tout. Mais une école n'est pas une
classe. Il y avait les récréations lors desquelles je pouvais
frayer avec des gens qui n'étaient pas dans ma classe avec lesquels
j'étais bien. Et ceux qui me rejetaient étaient beaucoup trop
occupés à faire les importants pour daigner aller voir de quelle
manière je passais le temps libre qui m'était imparti.
Alors,
comme beaucoup d'enfants, j'attendais les rentrées qui se
succédaient avec impatience, pour revoir mes amis, pour apprendre
plein de nouvelles choses et remplir ma petite tête déjà rêveuse,
de toutes sortes d'informations, qu'un jour j'apprendrais à lier
entre elles, dessinant ainsi les premières esquisses d'analyses sur
les sujets que j'aimais.
C'est
à l'adolescence que je refusais à toute force l'étiquette de nerd.
J'avais réussi à faire le passage à l'école secondaire en
laissant le grand rejet derrière moi, il n'était pas question que
je m'y replonge juste pour avoir de meilleures notes. Je n'étais pas
très bonne, certes, mais en dehors des mathématiques je n'étais
pas si mauvaise non plus. Je n'en avais pas du tout conscience
cependant, parce que bien souvent, on mesure nos échecs de façon
beaucoup plus acérée que nos réussites.
J'avais
donc un paquet de bonnes raisons pour détester l'école. Mais il n'y
avait rien à faire, j'aimais cela. Je pense que c'est au cégep que
je me suis mise à dire à qui voulait l'entendre qu'à mon avis le
système scolaire mesurait un potentiel de réussite dans ledit
système et pas l'intelligence des gens qui étaient évalués. Un
mantra auquel je me suis accrochée pour me rendre jusqu'à une
scolarité de maîtrise, malgré certains échecs. Une façon de
refuser de me laisser intimider par un système dans lequel je ne
cadrais pas très bien.
Parce
qu'il ne faut pas se leurrer, l'intimidation peut prendre bien des
formes. Celles de nos pairs en est une et elle est particulièrement
douloureuse, mais ça peut aussi venir de gens qui ne nous veulent
que du bien. De tout ce qui fait en sorte qu'il faille rentrer dans
le moule de l'éducation étatisée qui ne se donne plus les moyens
d'accompagner les différences d'apprentissage.
Et
je crois, qu'au bout du compte, le plus difficile de ces années ce
n'était pas le rejet. C'est les chiffres gigantesques en rouge
surlignés qui me montraient que je n'avais pas réussi un test ou un
devoir. M'accrocher à l'école, continuer à aimer la fréquenter
est à ce jour, je crois, ma plus grande réussite.
Il
m'aura fallut treize ans de recul et une dépression pour comprendre
que j'avais fait là un cheminement hors du commun.
Et
j'en suis fière.
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