Une question de goûts
Je vois fréquemment la
même femme bizarrement attifée près de la station de métro que je
fréquente quotidiennement. Quelquefois à l'intérieur, pas toujours
cependant. C'est difficile de ne pas la voir ; elle semble
affectionner les couleurs vives, voire criardes et les mêle toutes.
Je ne sais pas son âge, mais cela doit s'approcher du mien, même si
elle a l'air beaucoup plus vieille que moi.
Elle porte généralement
une jupe trop large, bien roulée autour de ses hanches pour ne pas
la perdre en route, qui est d'un jaune violent. Elle a différentes
couches de chandails à fleurs immenses qui crient les uns par
rapport aux autres et elle est chaussée d'espadrilles blanches
desquelles surgissent des bas blancs qui remontent jusqu'à ses
genoux. Ses cheveux gris, presque blancs sont noués en une queue de
cheval dont la moité s'est échappée et qui lui retombe
perpétuellement sur les yeux.
Il m'arrive parfois
d'être distraite, à l'épicerie, et de passer à la caisse derrière
elle. À tous les coups, c'est d'une longueur inimaginable.
Visiblement, elle a beaucoup de peine à bien comprendre les prix et
doit continuellement réviser les achats prévus pour rentrer dans
son maigre budget. Si je ne la juge pas, d'autres le font sans
vergogne. Combien de fois aie-je entendu des quolibets et des
commentaires disgracieux sur sa tenue ou la lenteur avec laquelle
elle complète ses achats ? Je ne saurais le dire, le pire selon
moi, ce sont les caissiers qui ne sont pas toujours très cléments
avec elle.
Il y a quelques jours, je
suis sortie de l'épicerie juste derrière elle. Et sur le trottoir,
se tenait un homme vêtu d'un chandail des Nordiques usé à la
corde. Il portait un pantalon de fortrel carrelé dans drôles de
tons orangés. Il avait des lunettes trois fois trop grosses pour son
mince visage et avait un serre-tête rouge avec des oreilles de
diablotin sur la tête. Lorsqu'il a vu surgir la dame que je suivais,
son visage s'est fendu d'un sourire aussi généreux que radieux.
Elle s'est arrêtée, lui a tendu sa petite menotte fripée qu'il n'a
pas prise tout de suite, il s'est plutôt chargé de la délester de
ses sacs. J'étais coincée dans la porte derrière eux, témoin
involontaire de cette scène touchante tandis que dans mon dos, on me
disait pas très poliment de me pousser de là.
Eux, ne voyaient rien de
la vilenie de leur entourage. Il se sont dignement dirigé vers la
station de métro, fiers, avec raison, d'avoir accompli la mission
qu'ils s'étaient fixés.
Je les ai regardé
disparaître dans la station, me laissant bousculer par tous les
quidams pressés qui n'avaient pas eu la chance de les trouver beaux.
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