Un visage de la peur
Ligne verte. Extrême
ouest. Je crois que j'y avais atterri après être allée voir un
spectacle à l'extérieur de Montréal et que mon transport m'avait
laissée à cet endroit que je ne connaissais que peu. Il était
tard, la rame était vide, ou presque. Je n'avais pas encore
l'habitude des excentriques qui forment la vaste faune que je croise,
aujourd'hui quotidiennement.
Je me rappelle que
j'étais fatiguée et passablement irritée contre moi, parce que
dans l'excitation de l'activité d'où j'arrivais (et don je ne me
rappelle pas du tout), j'avais oublié mon livre et de changer les
piles de mon lecteur de cd. Il va sans dire qu'à cette époque, je
n'avais pas l'ombre d'un téléphone entre les mains.
Ça peut paraître
absurde, mais les œillères qu'on peut se mettre quand on est en
transport en commun, pour se donner une contenance, sont comme des
remparts intangibles autour de soi. Cette nuit-là, je n'avais rien
pour me donner l'air occupé et j'essayais, tant bien que mal de ne
pas fixer trop les autres passagers. Il me semblait que le train
passait un temps infini dans les tunnels, entre deux stations. Sauf
que ce sentiment n'était chimère de mon imagination.
Toujours-est-il, que je
voyais deux jeunes hommes se disputer violemment dans le wagon voisin
depuis quelques temps. J'essayais vainement de ne pas y porter
attention, sans grand succès. Je faisais mon possible pour me
concentrer sur les craques du plancher.
Comme on s'approchait de
Lionel-Groulx, je me disais qu'on atteindrait une certaine foule,
malgré l'heure tardive et qu'enfin, je pourrais me sentir un peu
plus en sécurité. C'est alors qu'un des deux jeunes hommes qui se
disputaient a décidé de franchir les portes entre les deux wagons.
J'étais assise juste à côté de la porte, à cette époque, ça se
pouvait sur la ligne verte. Il était fort jeune, mais il me faisait
penser à Samuel Jackson dans ses personnages les moins rassurants,
cheveux et yeux fous en sus. Comme j'avais évité soigneusement de
porter de trop près attention à la scène que je ne pouvais
m'empêcher d'apercevoir, je ne savais pas très exactement ce qui
s'était passé entre les deux protagonistes. Sauf que j'avais sous
les yeux, un gars plus jeune que moi d'une dizaine d'années, qui
avait visiblement été atteint par un objet tranchant : il
saignait abondamment, sur moi.
Je n'écrivais pas ce
blogue à l'époque. En réalité, je ne savais même pas ce qu'était
un blogue. Mais j'avais pris une note sur l'anecdote dans un cahier.
Ce qui l'a ramené à ma mémoire, cependant, c'est une photo de
Samuel Jackson à la une d'un magazine pour le film Miss
Peregrine's home for peculiars children.
Depuis,
je revis cet événement en boucle dans ma tête. Et la peur que
j'avais alors ressentie est intacte.
Malgré
le fait que je n'ai pas été en danger ni à l'époque, ni
aujourd'hui.
Cependant,
pour moi, il s'agissait de ce qui s'approche le plus, du visage de la
peur et cette image refuse, obstinément, de s'effacer de mon esprit.
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