Avant la spirale
Sur la table de mélamine
que je connais par cœur, au lieu des sempiternelles demandes
d'emploi, il y avait un tas d'objets volontairement abandonnés à
cet endroit. Deux trousseaux de clefs, deux cartes signifiant
l'appartenance à l'entreprise pour laquelle je travaille depuis
douze ans que j'ai posés derrière moi pour plonger dans la nouvelle
aventure qui m'attend la semaine prochaine.
Pour l'instant, je ne
travaille plus nulle part : pendant quatre jours, je serai
complètement indépendante de mes responsabilités ordinaires. Je me
situe très exactement entre deux chaises. L'air de rien, me voilà à
quelques jours de travailler pour ce que j'ai perçu comme la
compétition pendant onze ans. C'est long, dans ma vie
professionnelle.
Je laisse équipe que
j'ai participé à bâtir. Une équipe que j'aime de tout mon cœur à
travers ses individus sinon, dans son entièreté.
Je laisse une
connaissance devenue presque instinctive de la mise en marché, d'une
clientèle que j'avais l'impression de comprendre dès qu'elle
mettait un pied dans le magasin. Je me trompe certainement à cet
effet, mais tout de même, je pouvais mettre des produits de l'avant
en me trompant très peu souvent. Je pouvais proposer d'autres
produits, en me trompant aussi peu souvent. Cinq années passées au
même endroit, ça a son lot d'atouts.
Mardi, je me plongerai
dans la jungle du montage d'un magasin dont je ne connais rien. Je
suis complètement ignorante de la partie phare des produits :
je ne connais strictement rien aux instruments. D'accord, j'ai une
certaine accointance avec ceux-là depuis ma plus tendre enfance,
mais ça demeure très vague. Je sais faire la différence entre un
piano et une flûte, mais ça s'arrête à peu près là. Je me sens
complètement néophyte D'accord aussi, ce n'est pas le le
département dont je serai en charge, n'empêche que...
Je ne connais pas les
codes par cœur et j'ignore les classements. J'ai eu beau faire de
l'espionnage dans l'intranet de ma future demeure professionnelle, je
comprends les méthodes de recherche mais rien à rien à ce que ça
veut dire pour la personne qui doit se mouvoir à travers les rangées
surchargées de l'époque de l'année qui nous empêche d'avoir une
vue d'ensemble sur ce qui est mis en place.
Je ne connais pas
l'équipe avec laquelle j'aurai à travailler. Il me faudra lui
expliquer mes aspérités : je n'ai pas toujours le tact qui
devait s'imposer pour une gestionnaire, je n'ai pas toujours une
patience exemplaire : certaines formes d'incompétences
m’insupportent et il semblerait que c'est inscrit en lettres
capitales sur mon visage. Mais, quand les gens me connaissent, ils
savent bien que je suis principalement équitable et que j'ai un
talent certain pour mobiliser les troupes, alors ces petits défauts
finissent par se fondre dans les vues d'ensemble. Sauf que là, j'ai
tout à construire ; ma réputation comprise.
Et plus que tout, je ne
connais pas la clientèle : ça me fait peur parce que ça
confronte mon sentiment de compétence sur lequel mes réflexes
professionnels reposent.
J'ai quatre jours devant
moi, quatre jours durant lesquels je serai totalement débranchée et
dans un noir certain.
Je compte bien en
profiter avant de sombre dans la spirale démente du temps des fêtes
et de m'y amuser du mieux que je pourrai.
Libellés : Digressions
Il faut respirer ! Quand on démarre un nouveau boulot, c'est normal de ne rien savoir.
Les premiers jours, il faut surtout poser des questions (ça c'est bien vu), sans commencer à donner des réponses, sans porter aucun jugement (on a envie de montrer que l'on est motivé, mais ça peut crisper les gens en un rien de temps). Il faut aussi saisir l'ambiance, les relations entre les gens, les valoriser, écouter les différents sons de cloches, et prendre le temps d'assimiler.
Tout va bien se passer !