dimanche, novembre 20, 2016

La tête dans les nuages

À six heures d'un matin de novembre, le brouillard était si épais qu'on ne voyais pas à quatre pieds devant soi. Je me racontais des histoires comme je le fais souvent lorsque je marche dans les rues de la ville. Je savais bien que le jour allait finir par percer et que la nuit s'éclipserait doucement. Sauf que lorsque mes pieds foulaient le bitume inhabité, il me semblait avoir replongé dans des siècles passés à l'époque où les nuits charbonneuses des villes de la révolution industrielle. Je ne pouvais m'empêcher d'évoquer le quartier White Chapel de Londres à l'époque où sévissait Jack L'éventreur. Rien de bien rassurant.

Malgré le fait que j'avançais d'un bon pas, je prenais la peine de bien m'arrêter à chaque coin de rue pour écouter l'absence de circulation et ainsi m'assurer que je pouvais, en toute sécurité, les traverser, particulièrement aux endroits où il n'y avait pas de feux de circulation. Ça et là, je me laissais surprendre par un autre quidam, la tête bien enfoncée entre les épaules pour se préserver, comme moi, du froid humide qui se glissait dans toutes les pores de la peau. Si c'est majestueux, au cinéma, de voir un personnage sortir de la brume, dans les faits, surtout quand on est en train de se faire un synopsis d'épouvante, juste pour le plaisir, ça me faisait régulièrement sursauter.

D'habitude, j'ai toujours la radio comme compagne de marche, sauf que ce matin-là, j'avais choisi d'écouter attentivement les bruits qui m'entouraient parce que le brouillard a aussi l'effet d'étouffer les sons et que je ne me sentais pas autant en sécurité sur un itinéraire que je connais pourtant par cœur, pas tant à cause des rares passants que je croisais que par le manque de repères habituels.

À peu près à mi-chemin, je me suis tannée de me faire des histoires de peur, je n'avais pas très envie d'arriver au travail dans tous mes états simplement parce que mon imagination débordante était sur le bord de prendre le pas sur mes capacités à me raisonner. C'est ainsi que sautant d'une idée à l'autre, je me suis mise à rigoler toute seule en me souvenant à quel point j'avais vécu une déception immense, le jour où j'avais compris que le brouillard c'étaient en fait les nuages.

Comme l'atterrissage avait été ardu quand j'avais dû admettre qu'il était impossible de bâtir un château dans les nuages, que les géants ni habitaient pas et surtout qu'ils n'étaient pas de jolis coussins duveteux sur lesquels on pourrait aller se reposer, si par hasard on arrivait à les atteindre. Mes contes de fées tombaient en lambeaux, laissant mon imagination toujours fertile en faim de nouvelles contrées où se lover.

Tout cela pour dire que malgré le fait qu'aujourd'hui je comprenne le phénomène météorologique qui créée le brouillard, je demeure candide et je persiste à me créer du cinéma, ou de la littérature, c'est selon.

L'un dans l'autre, je dirais que je suis avide de toujours garder, un peu, la tête dans les nuages.

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