La tête dans les nuages
À six heures d'un matin
de novembre, le brouillard était si épais qu'on ne voyais pas à
quatre pieds devant soi. Je me racontais des histoires comme je le
fais souvent lorsque je marche dans les rues de la ville. Je savais
bien que le jour allait finir par percer et que la nuit s'éclipserait
doucement. Sauf que lorsque mes pieds foulaient le bitume inhabité,
il me semblait avoir replongé dans des siècles passés à l'époque
où les nuits charbonneuses des villes de la révolution
industrielle. Je ne pouvais m'empêcher d'évoquer le quartier White
Chapel de Londres à l'époque où sévissait Jack L'éventreur.
Rien de bien rassurant.
Malgré le fait que
j'avançais d'un bon pas, je prenais la peine de bien m'arrêter à
chaque coin de rue pour écouter l'absence de circulation et ainsi
m'assurer que je pouvais, en toute sécurité, les traverser,
particulièrement aux endroits où il n'y avait pas de feux de
circulation. Ça et là, je me laissais surprendre par un autre
quidam, la tête bien enfoncée entre les épaules pour se préserver,
comme moi, du froid humide qui se glissait dans toutes les pores de
la peau. Si c'est majestueux, au cinéma, de voir un personnage
sortir de la brume, dans les faits, surtout quand on est en train de
se faire un synopsis d'épouvante, juste pour le plaisir, ça me
faisait régulièrement sursauter.
D'habitude, j'ai toujours
la radio comme compagne de marche, sauf que ce matin-là, j'avais
choisi d'écouter attentivement les bruits qui m'entouraient parce
que le brouillard a aussi l'effet d'étouffer les sons et que je ne
me sentais pas autant en sécurité sur un itinéraire que je connais
pourtant par cœur, pas tant à cause des rares passants que je
croisais que par le manque de repères habituels.
À peu près à
mi-chemin, je me suis tannée de me faire des histoires de peur, je
n'avais pas très envie d'arriver au travail dans tous mes états
simplement parce que mon imagination débordante était sur le bord
de prendre le pas sur mes capacités à me raisonner. C'est ainsi que
sautant d'une idée à l'autre, je me suis mise à rigoler toute
seule en me souvenant à quel point j'avais vécu une déception
immense, le jour où j'avais compris que le brouillard c'étaient en
fait les nuages.
Comme l'atterrissage
avait été ardu quand j'avais dû admettre qu'il était impossible
de bâtir un château dans les nuages, que les géants ni habitaient
pas et surtout qu'ils n'étaient pas de jolis coussins duveteux sur
lesquels on pourrait aller se reposer, si par hasard on arrivait à
les atteindre. Mes contes de fées tombaient en lambeaux, laissant
mon imagination toujours fertile en faim de nouvelles contrées où
se lover.
Tout cela pour dire que
malgré le fait qu'aujourd'hui je comprenne le phénomène
météorologique qui créée le brouillard, je demeure candide et je
persiste à me créer du cinéma, ou de la littérature, c'est selon.
L'un dans l'autre, je
dirais que je suis avide de toujours garder, un peu, la tête dans
les nuages.
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