La harde
Métro Jean-Talon, peu
après 15h30. Depuis presque deux semaines, j'observe, ou plutôt, je
dois vivre avec le même manège. À mon arrivée à la station, les
garçons ont passé les guérites et sont regroupés en horde
désordonnée près de l'escalier qui mène au quai de la gare. De
leur observatoire, ils peuvent voir arriver le train de l'autre côté
de la station. Ils en laissent passer beaucoup avant de se décider à
prendre possession de la voiture de tête. Ou d'essayer.
Le jeu, je crois, c'est
de se donner le départ à la toute dernière minute pour dévaler
les escaliers le plus rapidement possible et de se précipiter dans
le wagon de tête juste avant que les portes ne se ferment et de rire
à gorge déployée de ceux d'entre eux qui seraient restés sur le
quai ; il y en a toujours un ou deux.
Ensuite l'objectif semble
être de prendre le plus d'espace possible dans la voiture. Ils
étendent leur nombre conséquent (j'en ai compté une quinzaine,
l'autre jour) en groupuscules de deux ou trois individus et
s'invectivent d'un bout à l'autre de cet espace confiné. Impossible
pour les autres passager de tenter d'avoir un semblant de
conversation tant les garçons prennent le plancher. Ils sont là
pour être remarqués.
Alors, bien entendu, je
les remarque. Ils sont probablement en deuxième ou troisième
secondaire, selon moi, parce qu'ils affichent une certaine expérience
de l'adolescence. Physiquement, ils sont aussi disparates que faire
se peu autant dans les différences de tailles ou de pilosité
débutante sur leurs visages et leurs voix voyagent des graves aux
aigus sans qu'ils puissent y faire grand chose, me semble-t-il.
Dans leur milieu, ils
doivent faire partie des leaders, ils se comportent comme une meute
affamée de reconnaissance et d'exploits à l'aune desquels je suis
bien heureuse de ne plus avoir envie de me mesurer. Ils font de
l'esbroufe leur principal cheval de bataille, mesurent les longueur
et la couleur de leurs plumages à force de cris et de remarques
assassines. Tous leurs mouvements m'apparaissent faire partie d'une
parade qu'ils s'adressent entre eux. Qui saura le mieux s'asseoir
avec un air savamment relâché, qui chiquera sa gomme de façon
ostentatoire, qui regardera l'écran de son téléphone le plus
souvent en donnant l'impression qu'il y reçoit à tout coup une
information capitale.
Ils sont jeunes,
bruyants, mais je ne les trouve pas dérangeants. Je les regarde
aller avec beaucoup d'attendrissement, cette volonté qu'ils mettent
de l'avant à être une horde impressionnante tandis qu'ils me font
davantage penser à une harde aux abois. Ils épient tout ce qui se
meut autour d'eux, en faisant semblant de donner le change. Ils
épient le monde dans lequel ils vont se faire une place en tentant
bien fort de se faire croire qu'ils n'y accordent aucune espèce
d'importance.
Ils sont magnifiques dans
leurs gaucheries, beaux dans leur candeur.
Ils sont inspirants
d'avenir.
Libellés : Vie en communauté