jeudi, novembre 10, 2016

La harde

Métro Jean-Talon, peu après 15h30. Depuis presque deux semaines, j'observe, ou plutôt, je dois vivre avec le même manège. À mon arrivée à la station, les garçons ont passé les guérites et sont regroupés en horde désordonnée près de l'escalier qui mène au quai de la gare. De leur observatoire, ils peuvent voir arriver le train de l'autre côté de la station. Ils en laissent passer beaucoup avant de se décider à prendre possession de la voiture de tête. Ou d'essayer.

Le jeu, je crois, c'est de se donner le départ à la toute dernière minute pour dévaler les escaliers le plus rapidement possible et de se précipiter dans le wagon de tête juste avant que les portes ne se ferment et de rire à gorge déployée de ceux d'entre eux qui seraient restés sur le quai ; il y en a toujours un ou deux.

Ensuite l'objectif semble être de prendre le plus d'espace possible dans la voiture. Ils étendent leur nombre conséquent (j'en ai compté une quinzaine, l'autre jour) en groupuscules de deux ou trois individus et s'invectivent d'un bout à l'autre de cet espace confiné. Impossible pour les autres passager de tenter d'avoir un semblant de conversation tant les garçons prennent le plancher. Ils sont là pour être remarqués.

Alors, bien entendu, je les remarque. Ils sont probablement en deuxième ou troisième secondaire, selon moi, parce qu'ils affichent une certaine expérience de l'adolescence. Physiquement, ils sont aussi disparates que faire se peu autant dans les différences de tailles ou de pilosité débutante sur leurs visages et leurs voix voyagent des graves aux aigus sans qu'ils puissent y faire grand chose, me semble-t-il.

Dans leur milieu, ils doivent faire partie des leaders, ils se comportent comme une meute affamée de reconnaissance et d'exploits à l'aune desquels je suis bien heureuse de ne plus avoir envie de me mesurer. Ils font de l'esbroufe leur principal cheval de bataille, mesurent les longueur et la couleur de leurs plumages à force de cris et de remarques assassines. Tous leurs mouvements m'apparaissent faire partie d'une parade qu'ils s'adressent entre eux. Qui saura le mieux s'asseoir avec un air savamment relâché, qui chiquera sa gomme de façon ostentatoire, qui regardera l'écran de son téléphone le plus souvent en donnant l'impression qu'il y reçoit à tout coup une information capitale.

Ils sont jeunes, bruyants, mais je ne les trouve pas dérangeants. Je les regarde aller avec beaucoup d'attendrissement, cette volonté qu'ils mettent de l'avant à être une horde impressionnante tandis qu'ils me font davantage penser à une harde aux abois. Ils épient tout ce qui se meut autour d'eux, en faisant semblant de donner le change. Ils épient le monde dans lequel ils vont se faire une place en tentant bien fort de se faire croire qu'ils n'y accordent aucune espèce d'importance.

Ils sont magnifiques dans leurs gaucheries, beaux dans leur candeur.

Ils sont inspirants d'avenir.

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