mardi, décembre 13, 2016

Divisions

Montréal est recouverte d'un duvet de neige. L'heure est à l'avenant. Dans son cocon blanc, encore immaculé, il y a quelque chose qui tient du temps suspendu dans l'atmosphère. Le corridor est long, vide, horrible et il y flotte l'odeur acre de la sueur rancie. Ça et là, des corps jonchent le sol où les pas des rares passants résonnent comme des coups de canon.

À la porte 17 du terminal désaffecté, une image me saute à la gorge. Je ne sais pas si c'est à cause de la bordée de neige, du silence imposé ou plus simplement du fait que nous soyons en décembre, toujours est-il que je revois le même endroit à l'époque où c'était le terminus d'autobus inter-municipal parmi les plus achalandés de Montréal, probablement du Québec en fait.

On était au début des années 1990, le terminal était bondé, puisque la date oscillait autour du 23 décembre. Je n'ai jamais trop compris comment les billets de bus étaient vendus, à cette époque, mais nous étions clairement trop nombreux pour un autobus qui fait la route entre Montréal et l'Abitibi, en s'arrêtant à peu près dans tous les villages qui s'échelonnent le long de la route, au nord de Mont-Laurier. C'était l'autobus de nuit, pour un trajet d'environ 7 heures dans lequel nous espérions dormir, ce qui fut bien évidemment impossible. J'avais fini par passer la nuit avec un bambin sur les genoux et un amoureux écrapouti sur mon épaule, ronflant allègrement.

Arrivés à Rouyn-Noranda, j'étais vannée tandis que l'amoureux était frais et dispo. J'allais faire la connaissance de sa famille, immédiate et élargie. C'était son père qui était venu nous chercher au terminus. Petit homme discret et rieur. C'est tout ce dont je me rappelle. Nous avions étés accueillis, à destination, par une femme au coffre immense, physiquement et vocalement qui écoutait en chantant joyeusement, un album de Noël de Ginette Reno. Il va sans dire que dans ces circonstances, j'avais été totalement incapable de m'assoupir pour la sieste de laquelle j'avais pourtant besoin.

On s'était déplacés, vers la fin de l'après-midi vers une autre maison, où la fête avait lieu. Avec un passage à la messe de minuit de huit heures. J'étais épuisée. Jusque dans la moelle de mes os. Je me sentais prisonnière parce que j'étais si loin de mes paysages connus. Et puis, il faisait froid. Un froid que je n'avais jamais rencontré dans mes propres contrées. Sec et mordant. Tellement que le souffle m'avait coupé quand j'avais mis un pied dehors.

C'était mon premier Noël loin de ma mère. Et j'avais eu les blues. Puissamment. Assez en tout cas pour pleurer en public. Assez en tout cas pour qu'un quelconque oncle me prête un téléphone cellulaire (à l'époque, c'était un gros machin qui ressemblait davantage à un radio-émetteur qu'à un téléphone) pour que je puisse appeler chez-moi.

C'est, à mon souvenir, la seule fois où j'ai passé la veillée de Noël loin de ma mère. Malgré le fait que j'aimais beaucoup la famille de mon amoureux de l'époque, et celles des autres que j'ai eu par la suite, il y a une chose que j'ai assimilée ce jour-là : pour moi, la veille de Noël c'est le cœur de la famille, et ce cœur a un nom, celui de ma maman.

Je ne sais toujours pas pourquoi, en ce matin de décembre, le souvenir de ce terminal animé s'est matérialisé devant mes yeux. Malgré les mots qui précèdent, ce souvenir n'est pas tellement triste autant qu'il est celui d'un réalisation : il y a des cellules qui se divisent bien, d'autres moins. Ma cellule familiale de Noël peu s'additionner de membres, mais je ne voudrais plus m'en diviser.

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