samedi, décembre 10, 2016

L'aune

Ça fait quelques années que je me dit que je devais commencer à me sentir vieille, après tout j'ai dépassé le cap des quarante ans. Je ne sais pas si c'est parce que je travaille dans un milieu très jeune, m'enfin, j'ai souvent la sensation que les années me pèsent sans me vieillir. Évidemment, que je vieilli, comme n'importe quel individu sur cette planète. Sauf qu'hier, j'ai eu un choc, parce que je me suis aperçu que j'aurais pu garder un des gestionnaires avec lequel je travaille et que franchement, je n'avais pas imaginé une seule seconde que l'écart d'âge entre lui et moi. Lorsqu'il m'a annoncé son année de naissance, j'ai explosé de rire et rougi du même coup, parce que pour la première fois de ma vie, j'ai frappé le mur qui me montrait que je ne suis plus jeune.

Il porte le même prénom qu'un enfant que j'ai gardé dans les tous premiers mois de sa vie. Je faisais cela, adolescente, garder des bébés. J'ai un talent certain avec les jeunes bambins. Les mamans que je croise, surtout dans l'entourage de ma sœur depuis qu'elle-même est mère, sont souvent étonnées de la facilité avec laquelle je porte leurs enfançons au sommeil. J'ai tendance à faire confiance à ces nourrissons qui me le rendent au centuple, en somnolant doucement dans mes bras. Ma carrière d'endormeuse a, d'ailleurs, débuté il y a longtemps.

Tout cela pour dire que je me suis revue, dans ma prime adolescence à garder des nourrissons et que je me suis dit qu'il aurait pu être l'autre, celui que j'ai vraiment gardé. J'ai fait les calculs, et tout fonctionnait. Sauf que je suis nulle en calcul. Ce qui fait que j'étais dans le champs quand je lui ai raconté mon souvenir. Parce que celui-ci avait lieu plus de deux ans après la naissance de celui-là. Et je sais quelle est l'envergure de mon erreur parce que j'ai encore les journaux intimes de mon adolescence et que j'ai daté toutes les entrées qui s'y trouvent (je vérifie régulièrement à cette aune, les données de ma mémoire friable).

Est-ce que me sens vieille pour autant ? Non et re-non. Je sais pertinemment que je suis la plus vieille personne de toute ma nouvelle équipe, et de loin. Sauf que je me sens collectivement au diapason de tous ses membres. Ils sont intéressants, cultivés, allumés, drôles. Et je suis encore la ricaneuse que j'ai toujours été. Moins soupe-au-lait que durant ma vingtaine, certainement, ce qui me permet de rire de moi avant de rire des autres. C'est précieux.

Je constate que je n'ai plus envie d'asseoir mon autorité. Est-ce à cause de mon âge ? Je ne crois pas. En réalité, je suis passablement convaincue que seuls les gestionnaires le connaissent et que le reste de l'équipe s'imagine que je baigne dans les mêmes eaux que tous les autres. Grand bien m'en fasse. Même si je suis tout à fait consciente qu'un moment donné mon corps finira bien par trahir les années qu'il accumule. Je suis encore en sursis. Je constate que je n'ai plus besoin, d'asseoir mon autorité, elle est-là.

J'ai pris du temps à trouver de quelle manière exprimer mon leadership. Il se trouve que je me sens particulièrement heureuse de le faire sans élever la voix, ou si peu. Il s'avère que je ne réussirai jamais à avoir l'air de faire une fleur à quelqu'un en lui refusant un retour sans facture par exemple, je n'ai pas, et je n'aurai jamais, ce talent-là. Mais j'en ai d'autres. Une belle perceptibilité des humains qui m'entourent, je crois, et un certain talent pour les raconter...

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