dimanche, décembre 04, 2016

Désamours d'automne

On ne s'attend pas à rencontrer grand monde lorsqu'on prend le métro à 6 heures le samedi matin. Étrangement, si la foule n'est pas très dense, elle n'est pas si éparse non plus. En fait, elle est juste assez clairsemée pour qu'on puisse s'apercevoir qu'on partage un wagon avec quelqu'un qu'on connaît, même mal, voire presque plus.

Nous avions été amis quelque part entre la fin de l'adolescence et le début de l'âge adulte, sans que cette amitié ne se déploie davantage que dans un immédiat délimité par la fréquentation d'un même cercle social. Bien entendu, à l'époque, nous partagions, ainsi que nos pairs, les émotions en fusion des amours en bandoulière alors, forcément, il y avait un petit quelque chose de l'ordre de l'intime, dans ce que nous avions échangé.

C'est dans ces circonstances qu'il avait laissé tomber son grand corps dégingandé devant moi en murmurant un « franchement » bien senti juste avant que je le lève les yeux pour l'interroger du regard. Je savais d'avance que sa vie tanguait sur des vagues tumultueuses. J'avais vu passer sur les réseaux sociaux, quelques 24 heures plus tôt, un message laissant entendre qu'il cherchait une chambre ou un appartement qu'il pourrait occuper immédiatement. Ça devait bien faire dix ans qu'on ne s'était pas croisé, encore plus qu'on n'avait pas échangé autre choses que des banalités.

Sans me répondre il avait tourné l'écran de son téléphone vers moi pour que je puisse y lire le texto encore affiché. « I don't wanna see you ever. It would be too hard for me. Send somebody between 10 and noon today. If you don't, everything will be on the street by 4. » Me plongeant du coup dans le cœur de sa vie actuelle, comme si nous étions de retour au café étudiant quelques 20 ans plus tôt et que j'étais censée tout connaître de ses déboires actuels.

En réalité, je n'en connaissais rien. Sinon qu'elle était Américaine et musicienne et qu'ils avaient été un couple pendant une dizaine d'années. C'est mince comme information pour essayer de consoler quelqu'un qu'on ne connaît plus. Que pouvais-je lui servir sinon des platitudes généralisées ? Ne sachant trop quelle attitude adopter, je lui avait finalement demandé : « raconte ».

Il avait poussé un énorme soupir. Pendant que je pouvais observer les rouages de ses méninges s'agiter dans sa tête, je ne pouvais faire autrement que de remarquer les pattes d'oies qui définissaient désormais son regard terriblement bleu et constater que sa houppe si caractéristique avait finalement cédé le pas à la calvitie. Ces indices visuels me permettraient, je le savais, d'enraciner l'homme dans autre chose que les souvenirs que j'en gardais.

Son silence s'éternisant, je m'étais dit qu'il ne me raconterait rien finalement. Je l'aurais compris du reste, nous ne nous connaissions plus. Mais il avait vidé son bagage émotionnel dans mon oreille compatissante. C'était une histoire complexe, dans laquelle personne n'avait tort ni raison. Et dont la fin, quoique prévisible, avait été aussi abrupte que possible. Une semaine plus tôt, ils formaient un couple, ce matin-là, ils ne l'étaient plus et une blessure ouverte des deux côtés rendaient toute discussion impossible.

Ils ne se parlaient plus, mais se textaient furieusement et continuellement. Quand j'étais arrivée à ma station, j'avais posé la main sur son poignet avant de lui dire : « Arrête ».

Je m'étais presque noyée dans la mer de ses yeux en détresse, avant de sentir qu'il avait saisi la bouée que je le lui avais lancée.

Je l'avais laissé patauger dans ses désamours de novembre, en espérant, qu'un jour, il se reconstruise.

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