Dans l'antre du loup
Durant les seize
dernières années, avec quelques interruptions, j'ai passé la
veillée du Jour de l'An avec la même personne. Belle tradition que
nous aimons toutes les deux. Sauf que cette année, nous avons décidé
de changer nos traditions, sans heurt aucun. Je me préparais donc,
depuis quelques semaines à passer cette soirée seule, heureuse de
mon sort, pas du tout amère quand l'invitation est apparue sur mon
fil de nouvelles. Je n'ai mis qu'une minute à prendre ma décision,
ravie de ce changement de programme.
Je me suis donc rendue au
nord-ouest de mes chemins habituels, dans un quartier que j'ai connu
enfant et dont les apparences extérieures n'avaient que peu
changées, malgré le fait que l'antre que j'allais visiter je ne
l'avais jamais vue auparavant. Je ne savais pas trop comment j'allais
m'y sentir, après tout, lorsqu'on est l'invitée d'un loup, il est
possible que l'on n'en sorte pas tout à fait indemne. Je n'avais pas
peur, simplement, je savais que ce serait beaucoup une fête
familiale, et que les chances seraient bonnes que je sois la seule
personne sans enfants dans le lot et que parfois, ça peut créer un
certain malaise.
Il n'en fut rien. J'ai
d'abord été accueillie, sur le pas de la porte par un nain de
jardin d'une autre époque. Il me rappelait les scènes avec des
nègres en plâtres qui animaient les pelouses de certaines maisons
dans mon enfance. Ça m'a fait sourire sous cap et je n'ai même pas
eu besoin de courage pour frapper à la porte, je savais que j'y
étais bienvenue. Aussitôt entrée, j'ai été accueillie par un
gros chien jeune et fou. Un chien qui voulait jouer, me faire la fête
parce que j'étais une nouvelle amie potentielle et qui n'avait
aucune espèce de notion du fait qu'il était plus fort et robuste
que moi. Évidemment que j'ai figé. En moins d'une seconde,
l'amoureuse du loup avait tout compris et fait disparaître la bête
dans le sous-sol, histoire de me laisser le temps de me faire à
l'idée.
Tous les personnages en
présence étaient chaleureux et conviviaux. J'en connaissais
certains à divers degrés de proximité, d'autres pas du tout, mais
dans l'ensemble, c'était simplement confortable. Les discussions
partaient dans toutes les directions, se mêlant et se démêlant à
qui mieux-mieux. Et puis, nous nous sommes retrouvés en petite
dizaine pour écouter les émissions de fin d'année. Rien de bien
extraordinaire, cependant, partager ce moment avec des gens qui
partagent généralement les même valeurs et référents et qui
rient aux mêmes moments que soi, c'est assez magique.
Je me suis retrouvée sur
le quai de la gare d'un métro vers 1h30 du matin. J'aurais cru que
j'y serais presque seule, mais bien au contraire nous étions très
nombreux. Il y avait bien évidemment quelques gens trop saouls qui
menaient un train d'enfer, mais il me semblait que la plupart des
passagers étaient, comme moi, des gens qui venaient de passer une
bien belle soirée et qui désiraient seulement retrouver leur
domicile, en toute sécurité.
Ce fut une soirée
mémorable, pleine de tendresse de rires et de discussions animées.
Une soirée pour me sortir de mes habitudes.
L'an prochain, peut-être
que je recommencerai.
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