mercredi, décembre 21, 2016

Trépigner l'impatience

Je savais, le jour où je l'ai rencontré, que j'avais sous les yeux un personnage. Un de ceux que je voudrais écrire. Quelque chose dans la mobilité agile de ses traits et sa vivacité d'esprit, qui me rappelait tous les jeunes improvisateurs avec lesquels j'ai longuement frayé, autrefois. Je me sentais en terrain connu. Taquineries intempestives incluses.

Il présente généralement un visage en broussailles à cause de l'épaisseur de sa tignasse et d'une barbe assez forte qui encadrent son regard d'un bleu éclatant. De temps à autres, il passe un coup de cisailles dans cet hirsute nous montrant alors une autre facette de sa personnalité. Il est, par ailleurs, la seule personne, à ma connaissance, dont la tête change de volume selon qu'il porte une tuque, ou pas.

J'ai une bonne mémoire, généralement bien au-dessus de celle de la moyenne des gens que je croise. Je constate à son contact qu'elle n'est pas si extraordinaire que cela. Différente de la mienne qui, je le sais, est tout à fait liée à des ressentis émotifs. La sienne est beaucoup plus cartésienne et pratique. Je suis régulièrement abasourdie par ce qu'il réussit à tirer de sa tête juste le temps qu'il faille pour cligner de l’œil.

Il possède la langue française dans la rétine de ses yeux, ne laissant passer aucune coquille, jamais. Ça me complexe à toutes les fois où j'ai à écrire quelque chose qu'il finira par lire, ce qui arrive souvent. Et bien entendu, je découvrirai, éventuellement, ces petites traces d'inattention que je sème aléatoirement dans mes écrits. Il ne me le dira pas, mais je sais qu'il les aura toutes vues.

Il trépigne son impatience comme un cheval sauvage. On peut la sentir monter à force de battements intempestifs sur toutes les surfaces que ses doigts peuvent rencontrer pour l'exprimer. Ce qui implique un jugement hâtif et sans concession sur tout et rien. Et pas grand monde n'échappe au haussement d'épaules caractéristique à l'expression de ce type d'exaspération. Moi la première.

J'ai rapidement découvert que rien ne sert de se justifier dans ce type de situation, il balaiera l'explication du revers de la main. Il est beaucoup plus efficace de changer de sujet et de le surprendre par une affirmation qu'il n'a pas prévue, alors il regardera son correspondant, interloqué pendant que ses méninges travailleront furieusement pour trouver une réponse adéquate à une telle absurdité. Ce qui arrive, généralement.

C'est un être d'une intelligence remarquable. Il fait les bons liens à une vitesse qui me sidère. Je dois admettre cependant, que je suis aussi douée à cet exercice. Ce qui fait en sorte qu'on se pousse continuellement dans les retranchements de la répartie, ce qui nous amuse beaucoup. L'un n'étant jamais autant satisfait que lorsque l'autre admet, en toute candeur, qu'il n'a rien à ajouter.

Je pense que je vais rire énormément dans ce nouvel avenir que j'ai choisi. Rire comme j'avais un peu oublié que je pouvais le faire. Parce que l'humour, en fait, ne se partage jamais aussi bien qu'avec quelqu'un qui comprend au quart de tour les référents desquels on parle, même si celui-ci ne les connaît pas de l'intérieur.

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