Trépigner l'impatience
Je savais, le jour où je
l'ai rencontré, que j'avais sous les yeux un personnage. Un de ceux
que je voudrais écrire. Quelque chose dans la mobilité agile de ses
traits et sa vivacité d'esprit, qui me rappelait tous les jeunes
improvisateurs avec lesquels j'ai longuement frayé, autrefois. Je me
sentais en terrain connu. Taquineries intempestives incluses.
Il présente généralement
un visage en broussailles à cause de l'épaisseur de sa tignasse et
d'une barbe assez forte qui encadrent son regard d'un bleu éclatant.
De temps à autres, il passe un coup de cisailles dans cet hirsute
nous montrant alors une autre facette de sa personnalité. Il est,
par ailleurs, la seule personne, à ma connaissance, dont la tête
change de volume selon qu'il porte une tuque, ou pas.
J'ai une bonne mémoire,
généralement bien au-dessus de celle de la moyenne des gens que je
croise. Je constate à son contact qu'elle n'est pas si
extraordinaire que cela. Différente de la mienne qui, je le sais,
est tout à fait liée à des ressentis émotifs. La sienne est
beaucoup plus cartésienne et pratique. Je suis régulièrement
abasourdie par ce qu'il réussit à tirer de sa tête juste le temps
qu'il faille pour cligner de l’œil.
Il possède la langue
française dans la rétine de ses yeux, ne laissant passer aucune
coquille, jamais. Ça me complexe à toutes les fois où j'ai à
écrire quelque chose qu'il finira par lire, ce qui arrive souvent.
Et bien entendu, je découvrirai, éventuellement, ces petites traces
d'inattention que je sème aléatoirement dans mes écrits. Il ne me
le dira pas, mais je sais qu'il les aura toutes vues.
Il trépigne son
impatience comme un cheval sauvage. On peut la sentir monter à force
de battements intempestifs sur toutes les surfaces que ses doigts
peuvent rencontrer pour l'exprimer. Ce qui implique un jugement hâtif
et sans concession sur tout et rien. Et pas grand monde n'échappe au
haussement d'épaules caractéristique à l'expression de ce type
d'exaspération. Moi la première.
J'ai rapidement découvert
que rien ne sert de se justifier dans ce type de situation, il
balaiera l'explication du revers de la main. Il est beaucoup plus
efficace de changer de sujet et de le surprendre par une affirmation
qu'il n'a pas prévue, alors il regardera son correspondant,
interloqué pendant que ses méninges travailleront furieusement pour
trouver une réponse adéquate à une telle absurdité. Ce qui
arrive, généralement.
C'est un être d'une
intelligence remarquable. Il fait les bons liens à une vitesse qui
me sidère. Je dois admettre cependant, que je suis aussi douée à
cet exercice. Ce qui fait en sorte qu'on se pousse continuellement
dans les retranchements de la répartie, ce qui nous amuse beaucoup.
L'un n'étant jamais autant satisfait que lorsque l'autre admet, en
toute candeur, qu'il n'a rien à ajouter.
Je pense que je vais rire
énormément dans ce nouvel avenir que j'ai choisi. Rire comme
j'avais un peu oublié que je pouvais le faire. Parce que l'humour,
en fait, ne se partage jamais aussi bien qu'avec quelqu'un qui
comprend au quart de tour les référents desquels on parle, même si
celui-ci ne les connaît pas de l'intérieur.
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