dimanche, décembre 18, 2016

Les yeux du rêve

Soir de semaine sur le quai de la gare du métro Berri, deux étudiants discutent avec force et véhémence du cours duquel ils sortent. Si j'ai bien compris, c'était un cours de création littéraire, une forme de séminaire, je crois et ils étaient furieux de la manière dont celui-ci avaient été animé parce que, selon ce que j'en saisissais, le professeur avait très peu fait d'observations sur les qualités des textes qui étaient présentés et beaucoup sur des corpus théoriques dans lesquels les textes s'inscrivaient, ou pas.

Je me revoyais à leur âge, avec les même frustrations lors de ma première incursion à l'université, ce qui avait été pour moi, un Waterloo. Moi qui avais toujours écrit, toujours lu, toujours adoré les mots, je ne me retrouvais aucunement dans ce que l'on me proposais d'étudier. Je ne me reconnaissais pas dans la manière d'envisager les textes, d'ailleurs, la plupart du temps, je ne comprenais même pas les questions qui étaient posées. Je répondais toujours un brin à côté de la question, ce qui faisait en sorte que mes notes étaient médiocres.

Je ne souhaitais pas vraiment les écouter digresser sur leur propre expérience, mais leurs propos m'interpellaient. Comme moi autrefois, ils trouvaient que les choix de lectures imposées étaient curieusement sectaires. Eux, ils trouvaient que Michel Tremblay, ça suffisait, ce qui m'amusais parce que dans mon temps, il n'était pas encore enseigné à l'université, pas dans celle où j'allais en tout cas, et je me faisais juger par mes pairs et mes professeurs parce que je ne me cachais pas pour le lire. Je ne me cachais pas non plus pour lire des romans de littérature fantastique ou policière. Ce qui ne passe visiblement pas plus aujourd'hui, d'après ce que mes oreilles indiscrètes et captivées attrapaient de la discussion à mes côtés.

Ce qui me frappait le plus dans leurs échanges c'est que visiblement, les deux protagonistes aimaient les livres. Ils en connaissaient un bail sur ce terrain et se passionnaient pour des textes de tout acabit. Ils écoutaient des émissions littéraires, trouvaient absurde que la littérature jeunesse soit boudée par les cercles universitaires, considéraient qu'au bout du compte, il y avait très peu de sottes lectures, voire pas du tout.

Dans le tunnel entre ma station et la précédente, n'y tenant plus je m'étais dénoncée ; je leur avais dit que je suivais leurs paroles depuis plusieurs minutes déjà et que j'étais d'accord avec pas mal tout ce que j'avais entendu. J'avais conclu en leur disant qu'ils n'étaient peut-être pas de bon universitaires en littérature, mais qu'ils feraient tous les deux de fichus bons libraires. Ils m'avaient regardée un peu bizarrement, mais je sentais bien qu'ils étaient ravis du commentaire. J'avais alors ajouté, que j'en étais convaincue parce que j'étais gérante de librairie et que je savais reconnaître à 13 pieds les candidats potentiels à ce genre de poste.

Alors leurs sourires s'étaient élargis. Ils m'avaient remerciée en me demandant où je travaillais. Je le leur avais dit tout en leur mentionnant que tout ce qu'il leur restait à faire pour obtenir un poste dans ce genre de lieu c'était d'inscrire dans leurs lettres de présentation qu'ils ne faisaient pas de discrimination en lecture.

Je suis sortie en leur laissant un rêve dans les yeux.

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