Les yeux du rêve
Soir de semaine sur le
quai de la gare du métro Berri, deux étudiants discutent avec force
et véhémence du cours duquel ils sortent. Si j'ai bien compris,
c'était un cours de création littéraire, une forme de séminaire,
je crois et ils étaient furieux de la manière dont celui-ci avaient
été animé parce que, selon ce que j'en saisissais, le professeur
avait très peu fait d'observations sur les qualités des textes qui
étaient présentés et beaucoup sur des corpus théoriques dans
lesquels les textes s'inscrivaient, ou pas.
Je me revoyais à leur
âge, avec les même frustrations lors de ma première incursion à
l'université, ce qui avait été pour moi, un Waterloo. Moi qui
avais toujours écrit, toujours lu, toujours adoré les mots, je ne
me retrouvais aucunement dans ce que l'on me proposais d'étudier. Je
ne me reconnaissais pas dans la manière d'envisager les textes,
d'ailleurs, la plupart du temps, je ne comprenais même pas les
questions qui étaient posées. Je répondais toujours un brin à
côté de la question, ce qui faisait en sorte que mes notes étaient
médiocres.
Je ne souhaitais pas
vraiment les écouter digresser sur leur propre expérience, mais
leurs propos m'interpellaient. Comme moi autrefois, ils trouvaient
que les choix de lectures imposées étaient curieusement sectaires.
Eux, ils trouvaient que Michel Tremblay, ça suffisait, ce qui
m'amusais parce que dans mon temps, il n'était pas encore enseigné
à l'université, pas dans celle où j'allais en tout cas, et je me
faisais juger par mes pairs et mes professeurs parce que je ne me
cachais pas pour le lire. Je ne me cachais pas non plus pour lire des
romans de littérature fantastique ou policière. Ce qui ne passe
visiblement pas plus aujourd'hui, d'après ce que mes oreilles
indiscrètes et captivées attrapaient de la discussion à mes côtés.
Ce qui me frappait le
plus dans leurs échanges c'est que visiblement, les deux
protagonistes aimaient les livres. Ils en connaissaient un bail sur
ce terrain et se passionnaient pour des textes de tout acabit. Ils
écoutaient des émissions littéraires, trouvaient absurde que la
littérature jeunesse soit boudée par les cercles universitaires,
considéraient qu'au bout du compte, il y avait très peu de sottes
lectures, voire pas du tout.
Dans le tunnel entre ma
station et la précédente, n'y tenant plus je m'étais dénoncée ;
je leur avais dit que je suivais leurs paroles depuis plusieurs
minutes déjà et que j'étais d'accord avec pas mal tout ce que
j'avais entendu. J'avais conclu en leur disant qu'ils n'étaient
peut-être pas de bon universitaires en littérature, mais qu'ils
feraient tous les deux de fichus bons libraires. Ils m'avaient
regardée un peu bizarrement, mais je sentais bien qu'ils étaient
ravis du commentaire. J'avais alors ajouté, que j'en étais
convaincue parce que j'étais gérante de librairie et que je savais
reconnaître à 13 pieds les candidats potentiels à ce genre de
poste.
Alors leurs sourires
s'étaient élargis. Ils m'avaient remerciée en me demandant où je
travaillais. Je le leur avais dit tout en leur mentionnant que tout
ce qu'il leur restait à faire pour obtenir un poste dans ce genre de
lieu c'était d'inscrire dans leurs lettres de présentation qu'ils
ne faisaient pas de discrimination en lecture.
Je suis sortie en leur
laissant un rêve dans les yeux.
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