mercredi, janvier 25, 2017

On cause

C'est un pays étrange. Un pays où la lumière est filtrée par d'épais nuages. Il n'y fait pourtant pas vraiment sombre, ça ressemble davantage à un matin d'hiver très brumeux quand la lumière est crue malgré tout. On sent qu'on est sur le point de voir quelque chose, pourtant, rien n'apparaît. Les êtres et les choses qui l'habitent sont comme autant d'ombres aux contours indéfinis. Une contrée désertique, aux sables fuyants.

Les issues sont insaisissables. Elles semblent inexistantes et pourtant toutes proches. Il n'y a aucun endroit qui soit confortable, le sol se meut sous tes pieds. Et tu cries de tout ton cœur, tu cries que tu es-là, toute seule et en danger mais personne te te répond. Personne ne t'entend parce que les sons sont étouffés par la brume, l'opacité, la distance, tu ne sais pas. Tes mains tremblent de froid, ton sommeil est menacé par tout. Tu ne veux déranger personne et tu sens que tu déranges tout le monde. Les nuits deviennent tes ennemies, elles ne te portent pas conseil parce qu'elles te rappellent à quel point tu es la sommes de tes erreurs. Toutes tes erreurs de langage, de posture,de jugement et toutes les choses un peu mesquines que tu aurais pu exprimer se remémorent à tes souvenirs.

Le silence est menaçant parce qu'il laisse tout l'espace à tes pensées. Elles ne sont pas jolies. Tu n'es pas jolie. Pas assez pour être aimée. Tu te mesure à l'aune de tes échecs, et bien entendu, ils sont plus nombreux que tes réussites. Tu ne vaut pas la peine qu'on s'intéresse à toi, tu es trop moche, pas assez intelligente, trop endettée, pas assez drôle. Tout devient confus.

Tes proches t'ont beaucoup dit, au cours des derniers mois que tu n'avais plus d'écoute, plus de compassion. C'est tout ce que tu retiens de l'ensemble de ton existence. Les accomplissements précédents n'ont aucune espèce d'importance, tu ne les reconnais plus. Tu sais, au fond de toi qu'à toutes les fois où on t'a dit quelque chose de gentil, c'était par pitié et que tu ne le méritais pas. Tu es un petit pou, un petit monstre d'égoïsme qui ne sait que se regarder le nombril. T'as le vertige pour la première fois de ta vie, un vrai maudit vertige. Dans les escaliers qui mènent de ton appartement à la rue, tu te retrouves en petite boule, incapable de les descendre parce que tu vois le sol dans l'ajouré du fer forgé. C'est une voisine ahurie qui te tire de là. Une voisine que tu détestes parce qu'elle te réveille presque toutes les nuits avec sa musique que tu n'apprécies pas davantage.

Et tu pleures sans larmes. Tous les jours. Tu pleures sur ta solitude, tes échecs, tes maudits échecs. Tout devient une responsabilité énorme, au delà de tes capacités. T'es totalement coincée dans ce pays horrible. Tout en sentant, quelque part, pas si loin qu'il y a d'autres contrées, moins pénibles. Sauf que tu sais très bien que tu ne les mérites pas. Tu t'étioles au rythme de tes inspirations. Tu te dis que dans quelques semaines, à la limite quelques mois, tu seras une itinérante de plus parmi toutes celles qui hantent les rues de Montréal parce que tu ne mérites pas plus que cela. Même pas la mort prodiguée par tes soins, ce serait une beaucoup trop grosse responsabilité, en plus, ça reporterait tes dettes sur les épaules de quelqu'un d'autre, et ça, tu ne peux pas l'accepter.

Et puis, un jour, t'as été prise par la peau du cou par un ami qui t'a amené au CLSC. Il a attendu que tu sois vu par n'importe qui, mais que tu sois vue, avant de laisser aller ta main moite. Et c'est là que tu as appris ce que c'est que la dépression. Que le pays dans lequel tu vis, tu n'es pas toute seule à le fréquenter et qu'il a un nom. T'es folle, mais ce n'est pas insurmontable, ça peut se soigner comme un rhume de cerveau, si tu te donnes la peine de bien vouloir essayer.

Très lentement, la brume se lève sur le pays des zombies, mais pour le reste de ta vie, son paysage restera tatouée dans toutes les fibres de ton corps, tu sera toujours à distances de marche de ses marais gluants, si seulement tu oublies que tu n'es pas infaillible.

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