Ressentir la portée
Tu te dis parfois que les
boulets se tissent à coups de pourquoi. Ces petites questions en
apparence innocentes, mais qui sèment le doute dans ton esprit. Et
tu te trouves mille excuses pour ne pas aller au bout de toi-même,
au cas où. Alors tu t'étioles tranquillement mais sûrement. Sans
trop t'en apercevoir, traînée vers l'arrière par le poids que tu
avais déposé dans le boulet précédemment élaboré. Il est de ton
fait, et tu le sais.
Tu te dis que souvent, il
est si facile de ne pas te regarder en face que le déni t'es presque
devenu une seconde peau. Presque, pas encore tout à fait, mais pas
très loin non plus. C'est tout juste si tu sais saisir le compliment
quand ta famille te raconte à quel point ce que tu écris fait du
bien à une ou deux personnes de son entourage. Tu rougis, un peu et
tasse l'information bien solidement quelque part dans le fond d'une
botte pour être certaine de bien marcher dessus et de la malmener
correctement.
Bizarrement, même si tu
refuses de croire en ces compliments, tu persistes à écrire, à
mettre des mots sur un écran, au cas où ils trouveraient des
récepteurs, au cas où ils te feraient du bien. Ce faisant tu
permets aux braises de ta personnalité profonde de ne pas s'éteindre
complètement. Parce que malgré tout, tu es à même de reconnaître
que certains textes sont bien fichus. Alors tu continues à te botter
les neurones deux fois par semaine, beau temps mauvais temps,
inspiration ou pas.
Et tu réalises, un jour
d'hiver, qu'à certains moments, dans un passé pas si lointain, tu
étais rendue tellement loin dans le déni que tu n'avais même pas
compris l'appel qui t'était lancé. Tu n'avais pas compris de ce
dont on te parlait quand on t'avais demandé avec tout l'amour d'une
mère : « Des fois, je me demande où elle est ma
Mathilde, le sais-tu toi » ?
Tu avais répondu juste assez à côté de la question pour te donner
l'impression que tu y répondais, sans pourtant rien en faire.
Ça
avait été facile, en réalité. Parce que la discussion de départ
portait sur ton célibat endurci. Tu avais alors pu dire la très
exacte vérité : après tout ce temps, tu ne sais plus ce que
c'est que d'être en couple, tu ne sais plus si tu as envie de t'y
frotter. Et au bout du compte, ça ne te manque pas vraiment. Comme
si être la Mathilde dont on te parlait se limitait à cela.
Il
aura fallut un certain rire. Le tien. Un rire qui n'avait pas résonné
à tes propres oreilles depuis des années pour que tu comprennes
l'importance de ce que tu avais laisser filer dans une interstice du
plancher. Un peu de ton âme perdue quelque part dans l'Univers.
Tu
te dis que la plupart du temps, les gens croient que c'est à perdre
quelque chose qu'on en mesure toute l'importance, mais tu sais
désormais que c'est à le retrouver qu'on en ressens toute la
portée.
Libellés : Digressions