jeudi, janvier 12, 2017

Les yeux du silence

J'ai souvenir d'un petit garçon à la chevelure claire et aux grands yeux noirs. Je sais bien que je l'ai connu dans ses premiers balbutiements dans l'existence puisqu'il est mon cousin et que nous avons quelques douze ans de différence d'âge. J'ai sans doute catiné le bébé qu'il a été, mais je me rappelle surtout qu'il était un enfant timide, très timide. Il se cachait volontiers dans les jupes de sa mère, les jambes de son père ou derrière son grand frère. Et je présume que lorsque ledit grand frère a trois ans de plus que soi, il est vraiment plus grand qu'on ne l'est.

Il me semble qu'il ne parlait pas. Pas qu'il ne savait pas parler, mais il observait la meute impressionnante de cette famille sans entrer en dialogue directe avec elle. Si ce n'est sa cellule familiale immédiate et un de mes frères. Je ne sais pas si c'est parce que ce dernier était bon avec les Legos, si c'est parce qu'il jouait de la guitare ou encore parce qu'il avait un talent certain pour animer les foules (y compris les plus jeunes membres de cette famille élargie), ou peut-être à cause de l'ensemble de cette œuvre. Toujours est-il que j'ai tôt eu l'impression que mon frère avait été pas mal le seul à être capable de créer un pont avec ce petit garçon timide.

Je n'aime pas être en reste. Je n'avais pas les talents de mon frère, mais j'aime les gens et j'étais curieuse de faire la connaissance de ce cousin rétif. Alors, j'allais les regarder jouer et je lui posais des questions. Au début, il me répondait par monosyllabes, puis, avec le temps, il développait, un peu. Il me saluait même, si j'étais dans le secteur quand il arrivait.

Tout a changé le jour ou il a attrapé l'adolescence de plein fouet. Comme si cet état de fait le mettait un peu plus dans le même groupe que ceux qui le précédaient de peu. Et il avait développé un amour de la musique en général et de la guitare en particulier qui lui permettait, je suppose, de se sentir un peu plus dans son espace. À la surprise générale, il s'était mis à jaser de tout et de rien avec un à propos humoristique et candide. Et si beaucoup d'entre nous ne le connaissaient pas ou peu, lui nous connaissait Je crois qu'il a passé les 12 premières années de sa vie à nous observer. Il n'avait peut-être pas une grande langue, mais certainement de grandes oreilles (au sens figuré, s'entend).

Il n'a jamais perdu son habitude d'observation. Ses pérégrinations musicales l'ont amené partout et ailleurs. Il est rare qu'il fasse étalage de son ses réussites dans le domaine, sauf pour admettre qu'il gagne sa vie avec la musique. Par contre, il nous régale désormais de petites historiettes toutes plus anecdotiques les unes que les autres, sur son métier. C'est toujours fait avec la même candeur et le même intérêt pour ceux qui l'entourent. Jamais de mesquineries inutiles, comme si cela ne faisait absolument pas partie du milieu dans lequel il fraie.

Des fois, juste pour le plaisir, je lui pose une question sur une guitare. Je ne comprends généralement pas grand chose à la réponse, mais je le laisse s'envoler dans sa passion et je retrouve un peu le petit garçon qui ne parlait de rien d'autre que de ce qui l'intéressait passionnément. Généralement, il s'arrête en cours de route, saisit soudain par mon incompréhension, et il me demande comment je vais.

Beaucoup gens vivent avec des œillères, lui a choisi de vivre avec des antennes.

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