Quand le ridicule ne tue pas
Dans mon petit magasin,
que les clients n'avaient pas encore vraiment découvert, nous avons
tout de même vécu quelques journées, avant Noël, lors desquelles
il y avait un peu trop de clients pour le nombre d'employés
disponibles. Ça ne durait jamais très longtemps, néanmoins, il
nous fallait sillonner les rangées en s'assurant que tout ceux qui
avaient besoin d'aide avaient reçu les réponses qu'ils
recherchaient.
C'est dans ces
circonstances que je me suis rendue dans la section des jeux de
société qui était bondée. Ça me donnait l'impression qu'il y
avait un mur devant le mur. Un mur mouvant et bruyant certes, mais un
mur tout de même. J'avais donc lancé un « Est-ce que
quelqu'un a besoin d'aide ? » à une quelconque planète
potentiellement en orbite de cet univers et comme personne ne me
répondait, j'allais tourner le dos quand une voix d'homme m'a
répondu : « Ben moi madame, j'aurais besoin d'aide. »
Je m'étais donc
rapprochée de lui et avait fait mon travail. C'est-à-dire, tenter
de cerner ses besoins, goûts, le pris qu'il voulait ou devait y
mettre, bref, le genre de chose que je fais à tous les jours. Comme
beaucoup de clients de dernière minute, il était un tantinet
désemparé. S'il était là, c'est qu'il n'y avait eu, au préalable,
aucune illumination évidente. Il devait acheter un jeu, autour de
25$ pour un party de famille, pas la sienne immédiate, c'est ce que
je supposais parce qu'il semblait totalement largué quand aux goûts
de tous et chacun. Vu de cet angle, la discussion était, évidemment
un peu plus longue que lorsqu'un client arrive avec un titre très
précis. Puisque dès lors, que nous l'ayons ou non, les pistes
elles, sont nombreuses.
Bref, nous en étions
dans les balbutiements de l'exploration de ses besoins et quelque
chose me titillait l'oreille ; sa voix. Je savais que je la
connaissais. Assez en tout cas, pour perdre le fil de ce que j'étais
censée faire, soit l'aider à trouver ce dont il avait besoin. Au
bout, de quelques minutes, j'avais fini par lui demander, à brûle
pourpoint : « Désolée, ma question n'aura aucun
rapport, mais vous êtes journaliste, n'est-ce pas ? » Il
m'avait regardé, sidéré. Un peu mal à l'aise de ma propre audace,
j'avais ajouté en vitesse : « ben j'ai un problème de
l'ordre de la santé mentale avec la première chaîne de
Radio-Canada, c'est comme si j'avais une perfusion sanguine avec
elle, je l'écoute tout le temps, sauf que je serais tout à fait
incapable de dire votre nom ».
Il me l'avait dit. Je
l'avais alors immédiatement associé à une ou deux émissions de ma
connaissance, contente de le replacer véritablement. Mais lui, me
regardait comme si j'étais une extraterrestre. Vraiment. J'étais
gênée et tout à fait mal à l'aise devant son regard perçant.
J'avais donc tenté de revenir au sujet de départ, sans grand succès
puisqu'il ne semblait plus du tout y être. Pendant ce temps,
évidemment, il y avait un paquet d'autres personnes qui me faisaient
signe. Je lui avait donc résumé, les suggestions qui me semblaient
les meilleures en m'excusant avant de passer au prochain client.
Il avait fini par faire
un choix, mais avait attendu que je sois de nouveau disponible avant
de quitter le magasin pour venir me dire : « Vous savez
madame, nos collègues de la télé se font reconnaître parfois,
dans des endroits publics, mais c'était la toute première fois
qu'on m'identifiait à cause de ma voix. Vous avez fait ma journée.
Merci ». Et il s'était éclipsé.
À tout prendre, ma
petite dénonciation ne m'avait rien coûté et lui avait fait
plaisir. Même si au passage je m'étais sentie singulièrement
ridicule. Et comme ça ne me m'a pas tuée, je sais que je vais
recommencer.
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