dimanche, janvier 15, 2017

Quand le ridicule ne tue pas

Dans mon petit magasin, que les clients n'avaient pas encore vraiment découvert, nous avons tout de même vécu quelques journées, avant Noël, lors desquelles il y avait un peu trop de clients pour le nombre d'employés disponibles. Ça ne durait jamais très longtemps, néanmoins, il nous fallait sillonner les rangées en s'assurant que tout ceux qui avaient besoin d'aide avaient reçu les réponses qu'ils recherchaient.

C'est dans ces circonstances que je me suis rendue dans la section des jeux de société qui était bondée. Ça me donnait l'impression qu'il y avait un mur devant le mur. Un mur mouvant et bruyant certes, mais un mur tout de même. J'avais donc lancé un « Est-ce que quelqu'un a besoin d'aide ? » à une quelconque planète potentiellement en orbite de cet univers et comme personne ne me répondait, j'allais tourner le dos quand une voix d'homme m'a répondu : « Ben moi madame, j'aurais besoin d'aide. »

Je m'étais donc rapprochée de lui et avait fait mon travail. C'est-à-dire, tenter de cerner ses besoins, goûts, le pris qu'il voulait ou devait y mettre, bref, le genre de chose que je fais à tous les jours. Comme beaucoup de clients de dernière minute, il était un tantinet désemparé. S'il était là, c'est qu'il n'y avait eu, au préalable, aucune illumination évidente. Il devait acheter un jeu, autour de 25$ pour un party de famille, pas la sienne immédiate, c'est ce que je supposais parce qu'il semblait totalement largué quand aux goûts de tous et chacun. Vu de cet angle, la discussion était, évidemment un peu plus longue que lorsqu'un client arrive avec un titre très précis. Puisque dès lors, que nous l'ayons ou non, les pistes elles, sont nombreuses.

Bref, nous en étions dans les balbutiements de l'exploration de ses besoins et quelque chose me titillait l'oreille ; sa voix. Je savais que je la connaissais. Assez en tout cas, pour perdre le fil de ce que j'étais censée faire, soit l'aider à trouver ce dont il avait besoin. Au bout, de quelques minutes, j'avais fini par lui demander, à brûle pourpoint : «  Désolée, ma question n'aura aucun rapport, mais vous êtes journaliste, n'est-ce pas ? » Il m'avait regardé, sidéré. Un peu mal à l'aise de ma propre audace, j'avais ajouté en vitesse : « ben j'ai un problème de l'ordre de la santé mentale avec la première chaîne de Radio-Canada, c'est comme si j'avais une perfusion sanguine avec elle, je l'écoute tout le temps, sauf que je serais tout à fait incapable de dire votre nom ».

Il me l'avait dit. Je l'avais alors immédiatement associé à une ou deux émissions de ma connaissance, contente de le replacer véritablement. Mais lui, me regardait comme si j'étais une extraterrestre. Vraiment. J'étais gênée et tout à fait mal à l'aise devant son regard perçant. J'avais donc tenté de revenir au sujet de départ, sans grand succès puisqu'il ne semblait plus du tout y être. Pendant ce temps, évidemment, il y avait un paquet d'autres personnes qui me faisaient signe. Je lui avait donc résumé, les suggestions qui me semblaient les meilleures en m'excusant avant de passer au prochain client.

Il avait fini par faire un choix, mais avait attendu que je sois de nouveau disponible avant de quitter le magasin pour venir me dire : « Vous savez madame, nos collègues de la télé se font reconnaître parfois, dans des endroits publics, mais c'était la toute première fois qu'on m'identifiait à cause de ma voix. Vous avez fait ma journée. Merci ». Et il s'était éclipsé.

À tout prendre, ma petite dénonciation ne m'avait rien coûté et lui avait fait plaisir. Même si au passage je m'étais sentie singulièrement ridicule. Et comme ça ne me m'a pas tuée, je sais que je vais recommencer.

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