Jours de plages
J'ai grandi à une époque
lors de laquelle, il me semblait que chaque famille québécoise
comportait au moins un ou une Michel-e. Dans le cercle d'amis de mes
parents, ils étaient nombreux. On pouvait crier « Michel »
à peu près n'importe où et être certains qu'un adulte de
confiance, qu'on connaissait depuis la naissance, se tourne la tête
pour nous venir en aide. C'est dire à quel point confiance, rimait
pour moi avec ce prénom.
C'était tout à fait
pratique quand nous partions en vacances, plusieurs familles à la
fois, au bord de la mer. Pour moi, c'était la magie de Noël au cœur
de l'été. Pas tant à cause des cadeaux que de l'effervescence
joyeuse qui accompagnait ces escapades. Souvent, des jeunes filles
nous accompagnaient en tant que gardiennes. Ainsi, les parents
pouvaient faire la fête et n'avoir pas à se lever avec les poules,
en même temps que leur progéniture exubérante qui n'avait de
cesse de courir après le soleil dès que celui-ci se pointait le
bout du nez. Dans le lot, il y avait des Michel que je connaissais
plus que moins et d'autres que je connaissais moins que plus. Peu
importait au fond, on pouvait crier « Michel » comme
d'autres enfants appelaient à l'aide.
Évidemment, à cette
glorieuse époque, les adultes ne m'importaient pas beaucoup. Je ne
savais que peu de choses de leurs personnalités respectives. Ce que
j'en comprenais ne se rapportait qu'à leurs rapports avec moi. Ce
qui comptait, c'était de participer activement aux jeux sur la
plage, ou ailleurs, de faire partie du groupe des enfants turbulents.
Nous étions nombreux. Nos pauvres parents ont dû attraper bon
nombre de cheveux blancs durant ces semaines estivales.
Un jour, je devais avoir
une dizaine d'années, nous étions en vacances sur la Côte-Est
américaine, et l'activité que tous attendaient était d'aller
visiter une maison hantée. Pour une raison que j'ignore encore
aujourd'hui (mais je soupçonne fortement que j'étais impossible à
sortir de l'eau), j'avais manqué l'activité. Je me rappelle avoir
été dans tous mes états à cause de cela et finalement, un Michel
m'y avait amenée avec sa plus jeune fille. Erreur et terreur.
J'avais eu tellement peur. Je m'étais retrouvée complètement figée
avant de franchir une plaque de verre, après avoir senti des machins
gluants autour de mes jambes, incapable d'avancer, avec un acteur qui
essayait de me faire comprendre en anglais (que je ne parlais ni ne
comprenais) que rien n'était vrai. Le Michel en question, au début,
s'était moqué, accentuant le jeu, mais avait fini par nous bercer
de sa voix grave pour nous rassurer et nous permettre de sortir
relativement indemnes de ce périple.
J'ai aussi des souvenirs
de plages francophones. Des plages balayées par le vent des Îles.
Comprendre Îles-de-la-Madeleine. À courir après les vagues, de
celles qui vous renversent. Nous étions généralement six à se
jeter dans leurs bras, trois hommes et trois adolescentes. Nos pères.
Je sais que, nous les filles, le faisions par pur plaisir de l'eau,
parce que le bonheur dans ce début d'adolescence s'apparentait
beaucoup à passer du temps dans les vagues ou sur le sable. Mais
beaucoup plus dans les vagues. Pour nos pères, je présume qu'il y
avait une part de volonté de protection. Mais nous n'y voyions que
du feu toutes absorbées que nous étions à nous frotter à un
danger, somme toute, contrôlé.
Aujourd'hui, un Michel
s'est endormi pour la dernière fois. Paisiblement, selon ce que j'en
sais. Avec lui, un grand pan de mon enfance est parti. Ma tristesse
n'a aucune commune mesure avec celle de ses très proches, mais ce
soir, je sais que plus jamais sa voix de baryton ne me réconfortera
contre des peurs réelles ou imaginaires ni contre vents et marées.
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