L'heure des hyènes
À l'heure où les
autobus inter-municipaux déposent leurs premiers clients au
terminus, celle-là même où la nuit cède doucement le pas au
premier jour de la fin de semaine, les cinq hommes s'installent
stratégiquement dans le terminus désaffecté, juste en haut des
marches qui permettent de rentrer dans la station de métro
adjacente. S'ils ne sont pas tous grands, ils en imposent à tous
ceux qui croisent leur route. À commencer par l'épais nuage de
fumée qui les entourent, malgré le fait qu'il soit illégal de
fumer dans un édifice public.
Ils portent des vêtement
coûteux, témoins intangibles d'une réussite financière certaine.
Ces derniers n'étant éclipsé que par le bling tonitruant des
bijoux massifs qui leur donne un étrange air de gâteau à trois
étages décoré par un enfant maladroit. Dans le sillage de leur
présence, il est facile de constater que les seringues usagées et
autres artefacts nécessaires à une injection se sont multipliés
aux alentours de leur nouveau point de rencontre.
Ils se poussent du coude,
se donnent de l'importance, en mènent large dans cet endroit
confiné. Les quidams de mon espèce qui doivent les contourner
hebdomadairement le font, la tête basse, la peur étampée dans tous
les pores de la peau. Pourtant, je sais bien qu'ils ne me parleront
pas, en réalité, ils ne me voient sans doute même pas. Je ne suis
pas leur proie. N'empêche qu'ils dégagent collectivement ce parfum
de charogne des prédateurs qui ne sont jamais aussi satisfaits
qu'après avoir mis la main sur de la viande fraîche.
À tous les coups, je me
sens coupable, parce que je sais ce qu'ils sont et que je suis
passablement impuissante devant leur manège étant donné que je ne
suis témoin de rien d'autre que de leurs rires d'hyènes aussi
malsains que de mauvais augure. D'accord, je pourrais essayer de
trouver un agent pour lui signifier que des individus louches
traînent dans le secteur ou encore qu'ils fument dans un bâtiment,
sauf que ces lascars sont loin d'être des imbéciles et je les
soupçonne fortement de profiter des changements de quarts desdits
agents pour faire les coqs.
Et si de nombreuses fois,
au cours des dernières années, je me suis sentie oppressée par les
trop nombreuses mains tendues à ce même endroit, si souvent je me
suis sentie démunie devant la détresse de tous ces marginaux qui
hantent ce corridor très particuliers, si je déteste toujours
autant me faire enguirlander par ceux qui se frustrent du fait que je
ne donnerai pas d'argent, mais plutôt un sourire, je dois avouer
qu'à l'heure des hyènes le samedi matin, les premiers me manquent
beaucoup.
Parce que si j'ai
toujours eu de la compassions pour les itinérants, je n'ai aucune
sympathie pour ceux qui se nourrissent de la misère humaine.
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