jeudi, février 16, 2017

L'heure des hyènes

À l'heure où les autobus inter-municipaux déposent leurs premiers clients au terminus, celle-là même où la nuit cède doucement le pas au premier jour de la fin de semaine, les cinq hommes s'installent stratégiquement dans le terminus désaffecté, juste en haut des marches qui permettent de rentrer dans la station de métro adjacente. S'ils ne sont pas tous grands, ils en imposent à tous ceux qui croisent leur route. À commencer par l'épais nuage de fumée qui les entourent, malgré le fait qu'il soit illégal de fumer dans un édifice public.

Ils portent des vêtement coûteux, témoins intangibles d'une réussite financière certaine. Ces derniers n'étant éclipsé que par le bling tonitruant des bijoux massifs qui leur donne un étrange air de gâteau à trois étages décoré par un enfant maladroit. Dans le sillage de leur présence, il est facile de constater que les seringues usagées et autres artefacts nécessaires à une injection se sont multipliés aux alentours de leur nouveau point de rencontre.

Ils se poussent du coude, se donnent de l'importance, en mènent large dans cet endroit confiné. Les quidams de mon espèce qui doivent les contourner hebdomadairement le font, la tête basse, la peur étampée dans tous les pores de la peau. Pourtant, je sais bien qu'ils ne me parleront pas, en réalité, ils ne me voient sans doute même pas. Je ne suis pas leur proie. N'empêche qu'ils dégagent collectivement ce parfum de charogne des prédateurs qui ne sont jamais aussi satisfaits qu'après avoir mis la main sur de la viande fraîche.

À tous les coups, je me sens coupable, parce que je sais ce qu'ils sont et que je suis passablement impuissante devant leur manège étant donné que je ne suis témoin de rien d'autre que de leurs rires d'hyènes aussi malsains que de mauvais augure. D'accord, je pourrais essayer de trouver un agent pour lui signifier que des individus louches traînent dans le secteur ou encore qu'ils fument dans un bâtiment, sauf que ces lascars sont loin d'être des imbéciles et je les soupçonne fortement de profiter des changements de quarts desdits agents pour faire les coqs.

Et si de nombreuses fois, au cours des dernières années, je me suis sentie oppressée par les trop nombreuses mains tendues à ce même endroit, si souvent je me suis sentie démunie devant la détresse de tous ces marginaux qui hantent ce corridor très particuliers, si je déteste toujours autant me faire enguirlander par ceux qui se frustrent du fait que je ne donnerai pas d'argent, mais plutôt un sourire, je dois avouer qu'à l'heure des hyènes le samedi matin, les premiers me manquent beaucoup.

Parce que si j'ai toujours eu de la compassions pour les itinérants, je n'ai aucune sympathie pour ceux qui se nourrissent de la misère humaine.

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