dimanche, mars 12, 2017

Changer d'angle

La pièce sentait l'humidité et la friture. Autour de moi, les gens trimballaient des cabarets bien remplis ou des gobelets de boissons chaudes. C'était une pièce lumineuse et bruyante, comme c'est fréquemment le cas dans les chalets de ski alpins les après-midi de fin de semaine. Ce n'était pas celui auquel j'étais habituée, c'était la première fois que je me retrouvais-là, mais je me sentais, somme toute en pays de connaissance.

Je ne me rappelle plus exactement pour quelle raison j'étais fâchée, ni précisément contre qui, mais je l'étais. Il me semble que ça avait un rapport avec les duos de remontées mécaniques et comme nous étions trois filles d'à peu près le même âge, ce genre de frictions étaient assez récurrentes, surtout en dehors du site sur lequel on allait descendre les pentes habituellement. Là, il y avait toujours un paquet de personnes que l'on connaissait suffisamment pour vivre des remontées agréables, à peu près en tout temps.

Bref, j'étais fâchée et comme toute ado qui se respecte, non comme toute moi qui se respectait, je me vautrais dans mon drame. J'étais incomprise, délaissée, maltraitée, choisissez l'attribut qui vous plaît dans le lot, je me les accordais tous, convaincue que personne au monde ne pouvait expérimenté pire journée que la mienne.

Selon ma bonne habitude, dans ce genre de circonstances, j'écrivais. Je n'avais pas de papier, pas de cahier avec moi, il était rare que je pense à apporter ce matériel indispensable, pourtant, à mes épanchements. Je me servais donc d'un napperon en papier pour exprimer toute ma frustration. Au bout d'un moment, un garçon inconnu était venu s'asseoir devant moi et m'avait parlé. Au début, sa présence m'avait irritée, parce qu'elle me forçait me sortir de mon auto-complaisance et que mes treize ou quatorze ans ne voyaient vraiment pas en quoi une discussion avec un inconnu aurait pu être plus intéressante que l’apitoiement dans lequel je versais.

Mais bon, il était rigolo, plein de confiance en lui et de charme. Il m'avait invité à aller faire une couple de descentes en sa compagnie, ce que j'avais refusé vu que l'heure du rendez-vous de fin de journée approchait à grands pas. Les filles étaient venues me cueillir sur ces événements et j'avais quitté mon nouvel ami sans trop de regrets. Je me battais avec le support à skis pour en déloger les miens quand il était venu à ma rescousse, me donnant franchement l'impression que j'étais une empotée de premier ordre, et j'avais rougi sous son regard amusé.

Il m'avait fait un tout petit bisou sur les lèvres avant de donner deux puissantes impulsions à ses skis pour s'éloigner de moi pour toujours.

C'est ce jour-là, je crois, que j'avais pris la décision que j'étais assez grande pour cesser de me cacher dans les gardes-robes pour éviter de donner la bise aux invités.

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