La bonne parole
À mon arrivée au
travail aujourd'hui, j'ai été informée qu'un drôle de zigoto
était venu hanter nos locaux en fin de soirée hier. Rien de bien
méchant, seulement, il revenait d'une soirée de prières et il
promenait son prosélytisme en faisant semblant de magasiner des dvd.
Il avait passé une bonne demie-heure avec la libraire à essayer de
la convaincre de suivre son cheminement religieux. Le gestionnaire en
présence avait du intervenir de manière assez claire pour que le
jeune homme finisse par quitter la succursale et laisser la libraire
en paix. Mais il était revenu à deux reprises, mais n'avait fait
que traverser en voyant que le gestionnaire était bien présent sur
l'aire de ventes.
À vrai dire, nous ne
nous attendions pas à le revoir de sitôt. Mais non. Vers 19h45, il
est entré. La libraire m'a tout de suite avisée que c'était le
zigoto en question, et m'a informée du même souffle qu'elle ne le
servirait pas. J'étais bien d'accord avec cette décision. D'autant
que ça fait partie de mon travail d'aider les employés dans des
situations inconfortables, je peux d'ailleurs affirmer que je suis
très douée pour éviter de tomber dans ce genres de discussions et
mettre clairement mes limites.
À peine arrivé, il
s'est dirigé vers la libraire d'un pas alerte et lui a demandé un
film précis, qu'il était certain d'avoir vu la veille, mais qui
n'était plus en rayons. Elle avait fait la fille de l'air et j'ai
pris le client en charge comme si de rien était. C'était un drôle
de jeune homme, dans ce qu'il dégageait autant que dans son
apparence. Il était roux et avait les yeux bleus foncés. Ça
donnait l'impression que ses yeux étaient aussi noirs et faux que
ceux des personnages de personnes hantées par un mauvais esprit dans
les films d'horreur et de science-fiction. Pas rassurant. J'avais
rapidement trouvé le film qu'il cherchait, tandis que ses questions
se mettaient à me pleuvoir dessus. Je débutais la seconde recherche
quand il m'a annoncé qu'il était venu la veille et que la libraire
avait été si gentille, mais que visiblement elle n'était pas prête
pour sa bonne parole.
Sans le regarder, je lui
avais répondu que ce n'était certainement pas judicieux de venir
dans un commerce, propager sa foi avec des gens qui n'en avaient pas
nécessairement envie et qui avait des obligations à remplir
vis-à-vis leur employeur, ce qui ne comprenait pas, évidemment, de
porter une oreille attentive à des partages comme celui qu'il avait
fait. Du coin de l’œil, à ce moment, je voyais la libraire se
faufiler entre deux allées pour pouvoir aller rire en paix, un peu
plus loin. Il m'avait alors répondu « Ah, vous non plus, vous
n'êtes pas prête ». Il s'était détourné illico, et avait
poursuivi sa fouille afin de trouver un troisième titre pour
compléter la promotion dont il voulait profiter. Je ne sais pas trop
comment il s'était débrouillé pour tout de même me faire
connaître d'autres informations qu'il jugeait de première
importance, mais toujours est-il que j'ai su, en quelque chose comme
trois minutes, qu'en fait il avait fait de la prison et qu'il était
schizophrène.
Bon... Je n'ai rien
contre les marginaux, je comprends qu'ils ont tout un cheminement à
faire pour s'accepter et se faire accepter, je sais que je n'ai été
ni bête ni méchante avec lui, mais je ne suis pas le genre de femme
à qui on peut venir partager la bonne parole et que j'en sois ravie,
surtout lorsque je suis au travail et que je me sens d'autres
responsabilités que celles d'être la psychologue des clients de
passage.
Il avait fini sa
sélection, avait complété ses achats et à notre grande surprise,
il m'avait dit en quittant : « Merci madame, pour votre
gentillesse ».
Comme quoi, mettre une
limite, n'est pas toujours si mal perçu que ce que l'on pourrait
croire.
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