jeudi, mars 02, 2017

La bonne parole

À mon arrivée au travail aujourd'hui, j'ai été informée qu'un drôle de zigoto était venu hanter nos locaux en fin de soirée hier. Rien de bien méchant, seulement, il revenait d'une soirée de prières et il promenait son prosélytisme en faisant semblant de magasiner des dvd. Il avait passé une bonne demie-heure avec la libraire à essayer de la convaincre de suivre son cheminement religieux. Le gestionnaire en présence avait du intervenir de manière assez claire pour que le jeune homme finisse par quitter la succursale et laisser la libraire en paix. Mais il était revenu à deux reprises, mais n'avait fait que traverser en voyant que le gestionnaire était bien présent sur l'aire de ventes.

À vrai dire, nous ne nous attendions pas à le revoir de sitôt. Mais non. Vers 19h45, il est entré. La libraire m'a tout de suite avisée que c'était le zigoto en question, et m'a informée du même souffle qu'elle ne le servirait pas. J'étais bien d'accord avec cette décision. D'autant que ça fait partie de mon travail d'aider les employés dans des situations inconfortables, je peux d'ailleurs affirmer que je suis très douée pour éviter de tomber dans ce genres de discussions et mettre clairement mes limites.

À peine arrivé, il s'est dirigé vers la libraire d'un pas alerte et lui a demandé un film précis, qu'il était certain d'avoir vu la veille, mais qui n'était plus en rayons. Elle avait fait la fille de l'air et j'ai pris le client en charge comme si de rien était. C'était un drôle de jeune homme, dans ce qu'il dégageait autant que dans son apparence. Il était roux et avait les yeux bleus foncés. Ça donnait l'impression que ses yeux étaient aussi noirs et faux que ceux des personnages de personnes hantées par un mauvais esprit dans les films d'horreur et de science-fiction. Pas rassurant. J'avais rapidement trouvé le film qu'il cherchait, tandis que ses questions se mettaient à me pleuvoir dessus. Je débutais la seconde recherche quand il m'a annoncé qu'il était venu la veille et que la libraire avait été si gentille, mais que visiblement elle n'était pas prête pour sa bonne parole.

Sans le regarder, je lui avais répondu que ce n'était certainement pas judicieux de venir dans un commerce, propager sa foi avec des gens qui n'en avaient pas nécessairement envie et qui avait des obligations à remplir vis-à-vis leur employeur, ce qui ne comprenait pas, évidemment, de porter une oreille attentive à des partages comme celui qu'il avait fait. Du coin de l’œil, à ce moment, je voyais la libraire se faufiler entre deux allées pour pouvoir aller rire en paix, un peu plus loin. Il m'avait alors répondu « Ah, vous non plus, vous n'êtes pas prête ». Il s'était détourné illico, et avait poursuivi sa fouille afin de trouver un troisième titre pour compléter la promotion dont il voulait profiter. Je ne sais pas trop comment il s'était débrouillé pour tout de même me faire connaître d'autres informations qu'il jugeait de première importance, mais toujours est-il que j'ai su, en quelque chose comme trois minutes, qu'en fait il avait fait de la prison et qu'il était schizophrène.

Bon... Je n'ai rien contre les marginaux, je comprends qu'ils ont tout un cheminement à faire pour s'accepter et se faire accepter, je sais que je n'ai été ni bête ni méchante avec lui, mais je ne suis pas le genre de femme à qui on peut venir partager la bonne parole et que j'en sois ravie, surtout lorsque je suis au travail et que je me sens d'autres responsabilités que celles d'être la psychologue des clients de passage.

Il avait fini sa sélection, avait complété ses achats et à notre grande surprise, il m'avait dit en quittant : « Merci madame, pour votre gentillesse ».

Comme quoi, mettre une limite, n'est pas toujours si mal perçu que ce que l'on pourrait croire.

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