mercredi, mai 17, 2017

L'angle du rire

J'avais passé la journée à bouger des tables de présentation. Celles-ci sont particulièrement lourdes, même vides. J'étais donc fourbue. C'est ainsi que je m'étais laissée tomber dans un banc vide avec une certaine forme de délectation. D'ordinaire, je lis ou je joue à n'importe quoi sur mon téléphone. Je lis plus souvent. Mais il m'arrive de ne rien faire parce que j'ai le cerveau qui baigne dans sa propre bouillie. Après une telle journée, j'étais dans cet état de vide mental. Alors je me suis rabattue sur l'observation des autres passagers, au cas où je pourrais y trouver un sujet.

Je n'avais eu l'occasion de jouer à l'observatrice muette bien longtemps puisque juste devant moi se trouvait le journaliste que j'avais servi un peu avant Noël et dont j'avais reconnu la voix. Il ne m'avait pas vue, de toute manière, je serais fort surprise que mon visage lui eut rappelé quoique ce soit. Étrangement, je m'étais demandée récemment, en écoutant un de ses reportages si moi je le reconnaîtrais, en supposant que non puisque mon contact avec lui était demeuré sa voix. Faut croire que de le saluer hebdomadairement de mon salon (sans qu'il n'en sache rien, évidemment) a imprimé son visage dans ma mémoire, parce que dès que je l'ai vu, j'ai su que c'était lui.

Je me suis prise à m'imaginer quelle serait sa réaction si je me levais pour lui dire : « Bonjour monsieur B, je suis la libraire qui vous a reconnu à la voix l'hiver dernier, là c'est votre visage que j'ai replacé ». Et je me suis mise à rigoler toute seule au grand plaisir de quelques quidams qui me voyaient et ne comprenaient pas pourquoi une femme assise toute seule dans le métro avait un tel fou-rire. Lui ne m'avait pas vue, il y avait désormais une foule entre nous. Ce qui, au bout du compte n'avait aucune espèce d'importance, parce que je m'amusais tellement toute seule avec mes idées saugrenues que j'aurais eu sans doute beaucoup moins de plaisir si d'aventure il aurait fallut que je les partage.

Lorsque de temps à autres, les passagers s'écartaient assez pour que je risque de le voir encore, je baissais systématiquement les yeux, histoire de me donner une chance de rester anonyme. Évidemment, je continuais à me raconter des chimères le concernant, rien de fleur bleue ou d'un tant soit peu romantique, seulement une flopée d'accroches plus absurdes les unes que les autres qui me faisaient juste rire davantage. Quand il était sorti de sa bulle, un peu ahuri, pour sortir précipitamment une station avant moi, j'avais rentré ma tête dans mes épaules et tourné celle-ci dans l'autre direction, comme s'il y avait une chance qu'il m’aperçoive, et surtout qu'il me reconnaisse suffisamment pour comprendre ce qui me faisait rire à ce point.

Bref, la conclusion à laquelle mes fabulations étaient arrivées, c'était que je peux bien me dénoncer dans le cadre du travail, ce sera perçu comme un compliment, mais qu'il y un pas qu'il vaut mieux ne pas franchir si on ne veut pas passer pour une jeune femme énamourée. Et que je ne crois pas qu'un journaliste radio, un peu timide ait le même genre d'accueil à ce sujet qu'une vedette pop, par exemple.

Décidément, quand on prend le parti de prendre la vie du bon côté, on peu passer un bon moment à peu près dans n'importe quelle circonstance, même quand on est vanné.

Peut-être surtout dans ce cas, en fait.

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