Pays candide
Lorsque j'ai changé de
succursale à l'automne dernier, j'ai fait la connaissance avec une
jeune personne avec laquelle j'ai tout de suite su que la
collaboration serait féconde et stimulante. Je crois que nous avons
rapidement compris que nos sens de l'humour étaient précisément
compatibles. Il émane d'elle une telle candeur, une absence presque
complète de la peur du ridicule qui ne pouvaient faire autrement que
de m'amuser grandement, si ce n'est de me charmer carrément.
Si je me plais à écrire
des histoires, elle a le chic de les raconter de vive voix. Son sujet
de prédilection est incontestablement les aventures qui la mettent
en scène lorsqu'elle s'est retrouvée dans une situation ridicule.
Alors elle me les raconte spontanément, sachant que je serai un
public de premier ordre pour ce genre d'anecdote.
Un midi qui suivait une
matinée rude pour moi, le genre de matinée où j'avais eu maille à
partir avec des clients mécontents pour des raisons diverses, elle
avait entrepris de me raconter comment elle avait un jour décidé de
suivre les indications d'un GPS pour aller de la région de Québec à
celle de Sallaberry-de-Valleyfield et que d'une mauvaise indication à
une autre, elle avait fait un petit détour par Terrebonne, avant de
finalement arriver à destination. Le tout avec moult détails sur
toutes les pensées qui avaient accompagné les diverses étapes de
ce rocambolesque retour à la maison. J'avais ri à en avoir mal aux
côtes et il vaut encore mieux aujourd'hui que je ne m'attarde pas
trop à penser à cette aventure sans quoi j'ai le rire qui me
reprend de manière assez intempestive. Il va sans dire qu'elle avait
grandement contribué à changer l'humeur de ma journée.
C'est le type de personne
qui, même dans ses mauvaises journées, prend systématiquement le
pari de faire contre mauvais fortune bon cœur. Elle m'avisera, à
l'avance, qu'elle ne sera pas au mieux de son efficacité, et si je
peux de visu constater qu'elle est capable de multiplier les bourdes
de manière assez ahurissante, aucune d'entre elles n'a d'effet
désastreux si ce n'est un ralentissement évident de son rythme de
travail. Ce qui est préférable à une attitude boudeuse ou
agressive, selon moi.
Quelquefois, je crois
qu'elle a le sentiment que je me moque un peu d'elle, tellement tout
ce qu'elle me dit me fait rire. Jamais je n'oserais cependant,
j'aurais beaucoup trop l'impression de saper une force vive dans son
élan immatériel. Ceci dit, je suis tellement ricaneuse qu'il m'est
souvent impossible de me retenir.
Je présume que, comme
tout le monde, elle a ses heures de bouette lors desquelles elle
n'est pas la jeune personne pétillante avec laquelle j'ai l'habitude
de travailler, mais elle les garde à la maison. Ce qui fait qu'elle
est devenue, pour moi, dans les six derniers mois un îlot de
frâcheur, un petit pays candide auprès duquel il fait bon respirer.
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